samedi 18 avril 2009

Mission Saint-Jean

 

Épuisé physiquement comme mentalement, livré, vidé, je craque et fond en larmes involontaires. La pression se relâche et couvre mes joues de sentiments mêlés. C'est de joie que je pleure, de fierté et de revanche aussi. Et d'amour pour mes proches qui me manquent.

En sortant de la basilique, un aspirant de la mission Saint-Jean vient à moi.

    • Pourquoi pleures-tu, me demande-t-il ? Il faut oublier ta peine, tu es arrivé dans les bras du Seigneur.

    • Je n'ai pas de peine. C'est de bonheur que je pleure.

    • Tu sembles pourtant bien fatigué. Tu as beaucoup marché ?

    • Un peu.

Poponguine est réputé dans toute l'Afrique de l'Ouest pour son grand pèlerinage annuel, au moment de la Pentecôte. La marche que j'ai entreprise est en fait assez courante chez les croyants du Sénégal. Les frères de la mission ne s'étonnent pas une seconde de ce que je viens d'accomplir. Il existe même une petite salle réservée à l'accueil des pèlerins en face de la basilique.

    • Tu veux passer un peu de temps ici pour te reposer ?

La proposition ne se refuse pas. Jean-Benoît est un homme généreux et soucieux du bien-être d'autrui. Il ne cherche pas à savoir tout de moi au premier abord. Il n'éprouve pas le besoin de me questionner et je n'ai pas à me justifier. Il me laisse le temps de me confier, à lui ou à un frère, si le besoin s'en fait ressentir. De même, il ne me demande pas si je suis Catholique ou non ; la porte de la mission m'est ouverte naturellement.

    • Pierre-François va donner une messe à Yène, me confie Jean-Benoît, il est Français aussi. Tu veux y aller avec lui ? Il part dans cinq minutes.

J'ai le choix entre assister aux vêpres ici ou partir dans un village voisin pour une messe donnée chez des particuliers. J'opte pour la seconde et retrouve les joies de la voiture sur des pistes en terre, poussiéreuses et bosselées.

Le village de Yène n'est pas forcément le paradis pour les Chrétiens des environs. Si la tolérance semble régner entre les religions, ce n'est souvent que de façade, du moins en ce qui concerne les autorités. Pas question pour un maire musulman d'accorder la construction d'une église sur sa localité. Les fidèles se rassemblent ainsi chez eux, en toute discrétion. On monte un autel de fortune dans un salon. Les bancs de messe sont remplacés par des canapés rétro. On couvre le poste de télévision d'une broderie blanche pour le faire disparaître le temps d'une cérémonie qui n'est pas sans rappeler ce que vivaient les premiers Chrétiens, obligés de pratiquer leur culte dans des grottes pour ne pas se faire arrêter.

Le prêche de Pierre-François est intéressant, il évoque la soif que l'on a de rencontrer le Seigneur. Or, précise-t-il, il serait plus judicieux de chercher à le suivre plutôt qu'à le voir. Il propose ensuite une parabole qui me touche directement. Il prend le cas d'un marcheur qui ne parvient plus à avancer car son sac est trop lourd. Il est alors tiraillé entre plusieurs alternatives mais se résout à abandonner son sac et ses biens matériels. Le plus dur n'est pas de se séparer de son sac : c'est de ne pas avoir peur d'avancer.


De retour à la mission Saint-Jean, Jean-Benoît m'indique une chambre libre où je peux passer la nuit. En fait, toutes les nuits que je veux puisque je peux rester aussi longtemps que durera ma retraite, le temps de me ressourcer. Des lits superposés. Une table. Des étagères. Un lavabo. Je ne suis plus habitué à un tel confort, comme quoi tout est relatif. Un monastère serait un hôtel de luxe pour certains.

La cloche sonne, c'est l'heure du dîner. Les bénédicités effectuées, je m'extasie devant les mets proposés. Entrée, plat et dessert, pour la première fois depuis que je suis au Sénégal. Une salade de carottes râpées a pour moi une saveur particulière. C'est la nostalgie de la cuisine française, toute simple, pas forcément la grande gastronomie, qui se fait sentir. Des images de marché à Versailles m'assaillent et c'est encore une fois dans un moment de grand bonheur que je suis frappé d'un coup de blues. Un gratin de pommes-de-terre, haricots et un fromage blanc, coulis de fruits rouges finiront de m'achever. Le plaisir est si facilement atteint qu'il en est parfois déconcertant.

Après une énième leçon d'humilité livrée par les frères, les aspirants, les stagiaires et les bénévoles de la mission, je me dis que je suis encore très loin d'avoir trouvé ma véritable vocation. Je suis tellement loin du don de soi auquel sont parvenus ces hommes et ces femmes qui savent pourquoi ils sont là. Ils ont trouvé dans la foi cette étincelle qui fait d'eux des êtres accomplis. Pour ma part, j'ai beau me réaliser à travers le voyage, il me manque toujours la certitude de l'essentiel. Nomade, je poursuivrai ma route tant que mon initiation ne sera pas achevée, quand bien-même celle-ci n'aurait pas de fin.


Avant d'aller me coucher, je me rends à la chapelle pour assister aux vigiles. Le lieu, propice au recueillement, est éclairé de quelques bougies. Cela lui confère une atmosphère de chaude sérénité, perdue dans la simplicité du décor. Seuls quelques moustiques parviennent à troubler cet instant de méditation profonde. J'en profite néanmoins pour adresser des prières supplémentaires pour mes proches. Et je remercie. Encore et toujours.


Le lendemain, le soleil n'est pas levé que je suis de retour dans la petite chapelle en bois. Des chants accompagnent bientôt l'oraison, puis les laudes. Je suis à présent totalement apaisé. Je ne me force pas à venir prier, je le fais naturellement. Ce n'est pas la première fois que j'ai cette impression d'être cent fois plus pratiquant en dehors de mes frontières. Je me souviens avoir passé beaucoup de temps dans une église de Savannakhet au Laos pour me ressourcer, me laisser le temps de penser aux miens. C'est finalement assez logique que de ressentir ce besoin profond d'envoyer des prières à ceux qu'on aime quand on est seul, loin de tout. Une église, ou tout autre lieu sacré, restera pour moi un lien évident avec ma terre natale, pourvu que j'y trouve la quiétude nécessaire à ma démarche.


La cloche sonne une dernière fois pour moi. Celle-ci indique la grande messe du dimanche matin. Ayant assisté aux répétitions de la veille, je connais le message essentiel et m'y retrouve. Pourtant, je ne m'attends pas à ce spectacle. Les chants sont en français, mais aussi en latin et en wolof. La chorale transpire de passion et les fidèles autour de moi montrent autant d'enthousiasme. Tout le monde a un sourire fixé sur le visage et l'on ne vient pas pour se montrer comme parfois chez nous. On vient ici pour crier des « Amen » et des « Alléluia ». Les convertis sont également nombreux et l'Afrique donne une leçon à la vieille Europe en ce qui concerne la pratique vivante de la religion.

Après la messe, la cinquième en vingt-quatre heures, je refais mon paquetage. Le déjeuner est à tomber, encore une fois. Je confie à Jean-Benoît l'eau bénite qui m'avait été confiée à Fadiouth au tout début de ma marche. Je lui explique que je n'en ai plus besoin, maintenant que je suis arrivé à destination. C'est aussi pour moi une façon de le remercier de son accueil avec un présent qui le touche véritablement.

Je remercie tous les frères, mais aussi les sœurs contemplatives qui logent juste à côté et qui sont formidables de générosité et de bienveillance. Leur campement en travaux, elles cuisinent, fabriquent des bougies et écoutent les gens de passage comme moi. Elles m'envoient des vœux de bonheur par dizaines, alors qu'on ne se connait que d'un regard. Marie, la responsable, m'offre même, en cadeau de départ, un velouté de citron qui est un régal divin.

Un frère prend bientôt la route pour donner une autre messe dans un village voisin. J'en profite pour faire un bout de chemin avec lui. Il me raccompagne presque jusqu'à Rufisque où je dois retrouver Bou ce soir. C'est ainsi que je quitte la mission Saint-Jean, face à la basilique de Poponguine, comme je suis venu, les larmes en moins et la paix en plus. Une force renouvelée. De quoi tenir plusieurs semaines.

mardi 14 avril 2009

Retraite spirituelle II

 

De retour sur la petite côte avec la ferme intention de finir ce que j'avais commencé quelques semaines auparavant, je ne me pose aucune question. Un Ndiaga Ndiaye pour le sud. Gare routières et villes encombrées. Finalement, la tranquillité de l'océan face à moi. Rien d'autre que lui et moi, encore une fois, dans cette étrange danse qui n'a pour seul objectif la ville de Poponguine et sa basilique. C'est là-bas que je dois transmettre les prières de tous ceux qui ont cru en moi et m'ont confié leurs espérances. Je poursuis cette retraite spirituelle pour eux. Je sais que j'y arriverai.

La marche ne me fait pas peur. Il est si simple d'avancer devant soi sans penser à rien, en pensant à tout. Un pied devant l'autre et ainsi de suite. Enfantin. Il n'est pas même question d'orientation ici puisqu'il ne me reste qu'à longer la côte vers le nord jusqu'à destination finale. Le soleil lui-même ne saurait m'empêcher cette fois d'arriver au bout de ma route. La volonté est le plus puissant des moteurs.

Je ne compte pas les heures. Je ne compte pas les habitations dépassées sur ma droite à mesure que s'égrainent les minutes. Je bois régulièrement. Je marche dans l'eau pour m'hydrater en permanence. Quand le soleil arrive à son zénith, je couvre mon crâne d'un tissu que j'humidifie dès que je considère qu'il ne me sert pus à rien d'autre qu'à me couvrir.

Les Sénégalais sont toujours aussi charmants et chaleureux avec moi. Toujours aussi curieux aussi. Certains m'accompagnent sur plusieurs centaines de mètres, le temps d'un village, avant de me laisser seul face à ma longue route. C'est toujours ainsi que cela se passe. Faire une petite partie d'un trek, d'un périple, d'un pèlerinage avec un inconnu a quelque chose de mystérieux, de jouissif et d'apaisant. Le bien-être que l'on en tire est extrême. Tous ceux qui ont l'habitude de marcher seul à l'étranger connaissent cette sensation extraordinaire que de rejoindre ou d'être rejoint par un marcheur isolé. Pas besoin de parler. Ne surtout pas parler pour ne pas briser cet état de plénitude. On avance et c'est tout, absolument tout ce dont on a besoin pour se sentir libre et vivre cette liberté.


À Mbour, je m'arrête au port. C'est un des plus importants du pays avec ses pirogues qui rapportent du poisson à longueur d'année sur cette bande de sable couverte de pêcheurs. On tend les filets. On vide les embarcations. On trie les pyramides de nourriture odoriférante étalées au soleil. On effectue la répartition à la criée. On lave. On découpe. On emporte sur des charrettes. Et on recommence. C'est un manège sans fin auquel j'assiste depuis que je vis au Sénégal, avec ce je ne sais quoi de magique qui ne disparaît pas, cet exotisme qui ne me rassasie jamais tout-à-fait.


Saly. Tout autre décor. Ici, les ressorts, casinos ou autre bars karaoké ont remplacé la charmante animation des villages africains. Saly s'étend le long d'une superbe plage, il est vrai. Pas étonnant que le tourisme balnéaire y soit devenu roi. C'est aussi le paradis des retraités occidentaux, les Français en tête comme d'habitude au Sénégal. Je croise alors des ventres rebondis et des nez rouges de coups de soleil devant lesquels quelques artisans vont tenter de vanter les mérites de leur camelote. La cercle sans fin du tourisme. Encore.

J'aperçois aussi quelques Sénégalais en manque de visa qui s'accroche désespérément aux touristes qui ne voient rien à l'entreprise entamée sous leurs yeux, qui confondent encore gentillesse dénuée d'intérêt et tentative laborieuse pour sortir du pays. En dix secondes, le blanc devient l'ami du noir. Le blanc loue les relations humaines en Afrique et jure que « ce n'est pas comme ça chez nous ». Platitude de pensée vide à l'excès. Je souffre de honte devant ces Français qui vivent dans un décor de carte postale et qui ne voient jamais la misère parce qu'ils ne veulent pas la voir.

Autour d'eux, les enfants courent et réclament des cadeaux, stylos et bonbons en wolof. Les Occidentaux, qui n'en pipent mot, trouvent cela touchant, « ils sont tellement mignons ces enfants ». C'est alors au tour du nouvel ami, devenu guide et garde du corps par peur de perdre ses pigeons, de chasser les enfants devant l'indignation hypocrite de la femme qui commençait à s'inquiéter cependant de l'insistance des gamins en haillons.

Saly, c'est beau mais non merci. Très peu pour moi. Je préfère encore marcher.


Puis les villages s'enchaînent. Ngaparou s'impose bientôt. Aussi joli que Saly et tellement plus calme. Les palmiers cachent des villas roses ou blanches sur le dos de la falaise. Une mosquée trône au dessus des petits maisons du vieux village. Les jeunes jouent au foot sur la plage et je suis de retour au Sénégal.


Je traverse ensuite la lagune de La Somone. Littéralement. On me dit qu'il faut passer en pirogue, que c'est impossible autrement, qu'on ne peut pas continuer tout droit à pieds. Pas question de prendre une embarcation. Je suis têtu. Je dois passer absolument en marchant pour ne pas trahir mon défi. Je me mets en quête de bancs de sable et de zones peu profondes. Je trouve rapidement ce qu'il me faut.

Je me déshabille devant les mamas qui m'encouragent à tenter la traversée et celles qui me disent adieu. Le sac sur la tête, j'avance contre le faible courant, de l'eau jusqu'à la taille. En peu d'efforts, j'ai traversé la lagune. J'en profite pour observer les oiseaux nichés sur un petit îlot qui me rappelle inévitablement la Langue de Barbarie. C'est en fait une réserve naturelle que je suis en train de traverser en pataugeant ainsi. Sans guide et sans pirogue, je m'en tire pour trente minutes de séchage au bout du compte. Le jeu en valait la chandelle. D'autant que je suis passé en marchant, comme promis.


Après un peu plus de trente-cinq kilomètres de marche aujourd'hui, j'arrive finalement, le soir venu, à Poponguine, au détour d'un immense bloc de pierre rouge et jaune. Le village est adossé à la petite colline, encore une fois. Au sommet, entre les maisons à étages et les palmiers, je peux apercevoir la basilique tant convoitée.

Petite marche forcée entre les ruelles. J'en courrais presque, riant en gravissant les marches qui mènent à la partie haute du village. La grande croix se rapproche inlassablement jusqu'à se dresser face à moi, imposante d'enjeux.

Je l'ai fait. Je suis épuisé mais tellement heureux d'avoir réussi à délivrer les messages et les prières de chacun. J'ai une pensée pour tous. L'un après l'autre. Je revois des images de ma longue marche quand je ferme les yeux, tous les visages et tous les mots échangés de Fadiouth à Poponguine, là où j'achève ma retraite spirituelle.

Enfin presque...

Ecole Diamalaye

 

École primaire Diamalaye, Yoff, Sénégal. Mon groupe de gestion de projet a pris un rendez-vous avec la directrice pour ce matin. Sénégalaisement, cela veut dire que nous venons presque à l'heure, il ne faut pas exagérer non plus, pour attendre toute la matinée.

Assis à l'ombre je contemple la cour de récréation qui s'anime, un grand terrain de sable piqueté de quelques arbres. Tout autour, se trouvent les salles de classe. Le nom du professeur est inscrit à l'entrée sur un tableau noir desséché. Deux classes préparatoires. Deux classes de CE1. Deux classes de CE2. Deux classes de CM1. Deux classes de CM2. Le calcul est vite fait. Le compte est bon, c'est un déferlement d'enfants qui ne tarde pas à s'imposer face à la quiétude de l'endroit.

On dit que les classes françaises sont surchargées, qu'elles ne permettent pas un apprentissage idéal. Que dire alors des classes africaines ? Avec soixante élèves par cours, ce sont les professeurs qui sont dépassés. Des enfants plein les bras et des hurlements plein les oreilles, ils sont parés, fin prêt à partir en guerre après chaque tartine du matin. Sénégalaisement, les enfants n'arrivent pas non plus à l'heure, sortent de la salle, s'agitent dans tous les sens et crient en permanence pour se faire entendre de leur instituteur. Beaucoup plus que je ne saurais jamais endurer dans ma carrière d'enseignant.

Dans la cour de récréation, les jeux sont partout les mêmes, en revanche. La mondialisation ne pourra rien y faire, un ballon et quelques billes ou cailloux seront toujours légion aux quatre coins du globe, le combat est perdu d'avance. Et encore des cris, des rires et des pleurs qui vous renvoient dans votre enfance, des souvenirs plein la tête.

Tous en uniforme, les enfants ne sont qu'à peine surpris de me trouver là, au milieu d'eux. C'est plutôt la présence de mes étudiants qui les intrigue. Que font donc là ces grands enfants ? Sont-il des anciens de l'école ? Oui, dans le cas de Marème qui nous a obtenu le rendez-vous pour nous et qui deviendra porte-parole du groupe par la force des choses.


Après quelques temps, la directrice revient enfin dans son école. C'est une ancienne institutrice également, comme bien souvent. Du type de femme assez réservée mais qui en impose, elle nous accueille poliment dans son bureau. Sans fioritures.

Les présentations effectuées, je lui explique rapidement qui nous sommes, le rôle de l'association et l'intérêt de ce cours de gestion de projets pour nos étudiants. Bien vite, je m'éclipse derrières ces derniers pour les laisser exposer notre concept. Ils s'en sortent plutôt bien, d'autant que la directrice n'est pas difficile à convaincre. « Tous les projets qui servent l'éducation sont bons à prendre » me dira-t-elle à la fin de notre entretien.

Concrètement, nous envisageons de venir faire deux matinées de sensibilisation à l'importance de l'école, et surtout de la lecture, dans les classes de CM1 et CM2, durant la dernière semaine de mai. Au Sénégal, beaucoup d'enfants quittent l'école à ce moment charnière de la scolarité, juste avant l'entrée au collège. C'est la raison pour laquelle nous nous sommes appuyés sur une cible fragile mais attentive. Les plus jeunes seraient hermétiques à notre discours. Pour les plus grands, il seraient déjà trop tard. Au-delà de l'aspect sensibilisation qui prendra la forme de discours et de petits sketchs sur le thème de l'école, nous organiserons des tournois du type « génie en herbe ». Ce sont des concours de connaissance qui sont organisés ici assez fréquemment, même s'ils sont en principe réservés aux meilleurs éléments de chaque école. Pour nous, pas question de laisser les instituteurs sélectionner ceux qui auront le droit de participer à notre concours. Tout le monde sera de la partie. De même, tous les élèves seront récompensés de leur participation et recevront au moins une fourniture scolaire. Les meilleurs, quant à eux, recevront des livres ou des sac-à-dos. La prime à l'excellence allant de paire avec notre message « je veux aller et réussir à l'école ».

Le projet est rapidement présenté. La directrice n'a que peu de questions, ce qui déroute un peu mes étudiants qui s'attendaient à discuter davantage pour la convaincre. Ce ne sera pas la peine. Elle est favorable au projet et nous donne automatiquement sont accord pour organiser nos deux matinées. Elle réunira prochainement sont équipe pédagogique pour convenir des dates avec les professeurs.

Organiser un projet, peu importe son ampleur, ne nécessite souvent que de la bonne volonté et le souffle de chance suffisant pour tomber sur des personnes ouvertes d'esprit prêtes à laisser leur chance à des jeunes débordant d'idées. Une simple visite nous aura suffit pour obtenir ce que nous voulions : une école, les moyens matériels, le temps nécessaire et un sourire. Quoi de plus facile ?

Satisfait, si ce n'est fier, de mes étudiants, je quitte l'école Diamalaye avec un sentiment de devoir accompli. La première étape est passée. Il ne reste plus qu'à trouver le financement. À nous de rencontrer les partenaires et sponsors idéals pour mener à bien notre projet. Je laisse alors les cris des enfants, leurs rires et leurs pleurs derrière moi. Je laisse la cour de récréation, à présent vide, dans mon dos. Je me dis une dernière fois que l'éducation est vraiment la clé de tout, que tout passe définitivement par elle.

jeudi 2 avril 2009

Grande côte

 

Je reprends ma route à pieds sous une chaleur accablante. Il n'est pas midi mais sitôt qu'on entre dans les terres, l'air devient sec et le soleil ne pardonne pas. Je fais la course avec des charrettes tirées par des ânes devant un lac de sel teinté de reflets roses. Ça me rappelle vaguement quelque chose.

Je croise une foultitude d'écoliers en uniforme. Ils jouent sur la piste devant leur école, une boisson au bissap collée sur les lèvres. Quand ils en ont assez, ils jettent les emballages plastiques que les chèvres se font un plaisir de mastiquer pendant des heures sur cette grande table à festin perpétuel.

De Gandiol, je retourne à Saint-Louis, gare routière. J'attends deux longues heures qu'un Ndiaga Ndiaye se remplisse. Comme la situation est loin de tourner à mon avantage, je réoriente mes espoirs sur un mini-car, un peu plus cher mais plus rapide à remplir, en théorie. J'annule bien vite mes grandes ambitions et je dois me rabattre sur un taxi sept places. Deux heures pour combler les places et descendre à Kébémer, à une centaine de kilomètres au sud. J'en profite pour manger un mafé dans un boui-boui aux conditions d'hygiène plus que douteuse. La mama au moins est-elle souriante et chaleureuse.

De Kébémer, je prends la direction de la côte pour me rendre à Lompoul. Je ne connais pas la distance qui sépare les deux villes. Je demande à quelques passants de m'indiquer le kilométrage exact, ou assimilé, afin d'établir mon programme à venir : marche ou pas. Les gens ne peuvent me répondre, ne me comprennent pas, me disent simplement que c'est loin. C'est une borne sur le bord de la route qui me donnera l'information désirée : 34 km. Je pose aussitôt mon sac sous un grand baobab qui me procure l'ombre nécessaire à mon attente.

À peine ai-je le temps de boire une gorgée d'eau qu'un fourgon rempli de sac de grains pour le bétail s'arrête et le chauffeur me demande si je veux monter. La question ne se pose pas deux fois, je saute sur les sacs à l'arrière et je pique du nez malgré les secousses.


Lompoul. Lompoul-sur-mer pour être précis, avec ce côté sud de la France qui dénote la source d'inspiration flagrante. Le petit port charmant et la place du village sont hélas déjà altérés par la venue de gamins qui, du haut de leur six ans, tendent la main en demandant un cadeau, des bonbons et un stylo. Ils viennent avec un grand sourire et repartent en proférant des insultes. Je suis blasé, ce qui ne m'empêche pas d'être déçu.

Je suis venu à Lompoul pour voir ses dunes. Sur plusieurs kilomètres, de grandes dunes de sable, de type mauritaniennes, s'étalent le long de la mer. C'est une curiosité naturelle au Sénégal qui vaut le détour, si l'on en croit les guides touristiques. En réalité, ce ne sont pas les dunes auxquelles ont est en droit de penser. Des images de rallye plein la tête, je me figure tout autre chose que ce que j'aperçois en face de moi.

Les dunes de Lompoul ne sont pas de sable fin. Elles sont à tendance ocre dans les terres, ce qui ne les empêche pas d'être impressionnantes. Pour le reste, elles sont surtout tassées par la végétation galopante. On ne voit pas les dunes à vrai dire. Le relief est écrasé sous le poids des arbres et, plus intéressant, des champs agricoles. Les cultures de tomates, de choux et autres se multiplient.

Je fais la rencontre d'un cultivateur du village qui m'initie à l'agriculture sur sable. Je plante avec lui quelques oignons histoire de ne pas mourir idiot. Je suis surtout intrigué par l'irrigation qui semble parfaitement fonctionner ici alors que le pays tout entier est ravagé tous les ans par la sécheresse. Lompoul démontre, s'il était nécessaire, qu'il est possible de donner la vie à n'importe quel coin du globe, même à un désert, à force de bonne volonté.

En fin d'après-midi je m'installe dans un campement de villageois, dissimulé dans les dunes. Exactement ce dont j'ai besoin : du calme et de l'isolement. Je négocie un prix plus que correct pour une case et la nourriture avec le gérant qui a quitté Dakar il y a huit ans parce que la capitale n'est que bruit et folie. J'en conviens et l'homme paraît tout-à-fait intéressant. Hélas, quand un vendeur de projecteurs lui rend visite et qu'il a besoin d'argent, il s'énerve dans le vent et me demande plutôt mal de le payer illico. Je le rembarre en lui disant qu'il est aussi stressé que les gens de Dakar, qu'il ferait aussi bien d'y retourner. Il trépigne d'impatience devant ma sérénité. Je lui porte le coup de grâce en lui disant que s'il me parle mal, je vais trouver un autre campement sur le champ. L'homme se confond alors en excuses, me demande de lui pardonner, mais il ne veut surtout pas manquer l'occasion d'acheter sa camelote made in china.

La situation s'apaise mais je sais dores et déjà que je n'ai pas frappé à la bonne porte. Pour une fois que je décide de jouer le touriste en payant une nuit dans un campement, histoire de faire marcher l'économie locale, j'ai tiré la mauvaise pioche.

Je passe ma soirée au coin du feu à regarder des braises se consumer une à une. Il fait vraiment froid après la tombée du jour et le feu de bois n'est pas de top. La famille du gérant arrive bientôt et personne ne s'inquiète de ma présence. On ne me voit pas. On parle wolof du début à la fin. Amoul solo. Quand le dîner est prêt, le gérant, qui ne deviendra décidément pas un ami, me déclare que je dois manger plus loin, où l'on ma dressé une table. La famille mangera après.

Qu'il en soit ainsi. Je ne suis pas dans un campement de villageois mais dans un hôtel à touristes parasites. Je suis un paria, un pestiféré. Je suis choqué, c'est la première fois que je vais manger seul depuis que je suis en Afrique. D'habitude, tout le monde m'invite à partager le même plat alors qu'ici je dois manger dans mon coin, comme un chien. Je prends cette attitude pour une insulte, avale mon plat et pars me coucher.

Le lendemain, j'exprime le fond de ma pensée au gérant qui ne sait plus ou se mettre. C'est déjà ça. Je garde toutefois un goût amer de ce passage à Lompoul à cause de ce grand type qui n'est pas venu ici pour le calme mais pour la manne financière que cela représente. Tout le reste n'est que salamalecs. Encore une fois, il se confond en excuses et le petit-déjeuner sera beaucoup plus chaleureux. On m'offrira finalement une bouteille d'eau minérale pour la route. L'hospitalité serait-elle de retour après s'être fait secouée un instant ?


Kébémer à nouveau, pour retrouver la nationale, puis Tivaouane, beaucoup plus au sud. Là je vais observer la grande mosquée en travaux, grand lieu de culte en devenir. Les ruelles qui l'entourent ressemblent à celles de Yoff. Les pieds dans le sable, accompagné par des chèvres et des cris d'enfants, à moins que ce ne soit l'inverse, je déambule au hasard pendant une heure ou deux. On m'invite à boire le thé comme il se doit et je retrouve le sourire.

Je monte dans un Ndiaga Ndiaye qui me conduit dans le milieu de l'après-midi vers M'boro. M'boro-sur-mer. Je fais la route avec Ibrahima qui habite le village et me parle de la religion musulmane avec enthousiasme. Il l'est moins quand il s'agit des femmes qui pratiquent l'adultère à tout-va selon lui.

    • Elles n'ont rien à faire de leur journée alors forcément... dès qu'on travaille, elle vont voir un autre homme.

C'est tellement évident quand c'est aussi simple que ça, n'est-ce pas ? L'homme fait alors l'apologie du modèle européen.

    • Une seule femme, ça suffit. Si elle t'aime, tu n'en as pas besoin d'une autre. En plus, ça coûte cher une femme. Il faut l'entretenir...

Je jubile intérieurement. L'entendre est un ravissement pour les oreilles et les zygomatiques. Son frère vient également de se marier, sans être présent à son mariage puisque, de fait, il est en France en ce moment. Il aura le droit à une belle surprise à son retour. Du moins peut-on lui souhaiter...

Nous arrivons à M'boro où j'aide un vieil homme à réparer un vélo antédiluvien, préhistorique. Je me pose quelques temps sur la plage de pêche où les hommes tirent les pirogues, de retour de mer. Les femmes commencent alors leur manège et la criée s'organise. Les chevaux se ruent vers ce qui devient vite le marché du port et apportent leur lot d'acheteurs potentiels sur leur charrettes. Les filets sont bien remplis et les pirogues toujours aussi colorées. De bleu et de jaune essentiellement, une phrase à la gloire de Dieu et quelques portraits de marabouts peints sur les flancs pour les plus inspirées.

Lorsque tout se calme enfin, il ne reste plus que l'océan et moi. Il ne peut en rester un et ça ne peut être moi dans ce combat joué d'avance. Je me retire alors, vaincu mais pas perdant, et reprends la direction de la capitale, laissant la grande côté et le nord derrière moi.