mardi 31 mars 2009

Langue de Barbarie

 

Mon chemin me mène vers Gandiol puis Mouit, sur la Langue de Barbarie, une grande bande de sable séparant l'océan du fleuve Sénégal sur une vingtaine de kilomètres. C'est ainsi que je décide d'aborder ma descente de la grande côte qui s'étend jusqu'à Kayar, deux cent kilomètres plus au sud.

À force d'errer sur le sable, je suis vite rejoint par un Touareg. Quoi de plus normal ? Mon Touareg est un Peul, ce qui explique sa couleur très claire pour un Sénégalais. Il est nomade, bien entendu. En me voyant vagabonder ainsi, il s'est sûrement dit qu'il avait trouvé un confrère, un collègue de baroud.

    • Que fais-tu là, me demande-t-il ?

    • Je marche.

    • Tu vas où ?

    • Devant moi.

Mon touareg me regarde avec curiosité. Quel est cet étrange touriste sorti de nul part, semble-t-il s'interroger intérieurement ?

    • Tu sais où dormir ce soir, finit-il par me lancer avec un sourire ?

    • Pas la moindre idée.

    • Alors suis-moi, je vais te trouver une maison où passer la nuit.

C'est ainsi que je fais un bout de route avec mon nouvel ami à travers de minuscules hameaux où les gens s'étonnent de me voir accompagner cet étrange homme vêtu de bleu. Ou bien s'étonnent-ils justement de voir le Peul conduire un Toubab dans un coin si paumé, si loin des campements touristiques, où seules quelques chèvres s'égarent quelques fois ?

Mon compagnon de route s'appelle Claude. Il vend quelques « antiquités » dans le Parc National de la Langue de Barbarie que je dois visiter demain. Là-bas, on le surnomme Clo-Clo, ça ne s'invente pas. Il s'est installé ici depuis quelques années mais ne compte pas s'éterniser. Mon Touareg déborde de projets. Il veut créer un cyber-café. Il veut ouvrir un campement touristique. Il rêve de commercialiser des boissons bio à moindre coût. Il ne s'arrête pas. C'est un doux rêveur, la cinquantaine déjà atteinte, le seuil de pauvreté loin de l'être, en revanche. L'homme est bon, très cultivé mais un peu naïf quant aux réalités économiques. Rêver ne coûte rien du reste et il ne s'en prive pas.


Nous arrivons devant la maison d'Ibrahim. Le vieil homme est assis dans le sable. Il répare une corde, assemblage fragile de morceaux récupérés de petites ficelles diverses. Tendue autour de son gros orteil meurtri par le soleil et le sable, la corde brinquebalante exprime son indocilité. Derrière lui, un mur gris décoré de jolies fenêtres bleues dissimule la pauvreté familiale.

Claude va saluer le vieil homme et lui demande s'il est possible de m'accueillir cette nuit dans sa demeure. Ibrahim ne se pose même pas la question : la réponse est évidente. On m'indique alors une pièce vide où je dépose mes affaires. Un matelas, bientôt suivi d'un drap, fait son apparition dans la pénombre de ce qui sera bientôt ma chambre pour la nuit. Seule femme de la maison, la petite-fille d'Ibrahim, se met en quatre pour honorer la réputation de la famille. Rien ne saurait me décevoir face à toute cette générosité et cette bienveillance de toutes façons. Il faudrait être extrêmement pointilleux pour trouver à y redire. Ou juste sans cœur.

La vie du quartier s'étale peu à peu devant moi, à présent installé sur le sable, à côté du vieil homme. Je regarde les enfants jouer aux billes et les rapaces dévorer quelques restes. Un pêcheur retourne chez lui, un panier à moitié rempli pour nourrir sa famille bienheureuse. Le vent soulève encore des bourrasques de sable ; la nuit s'annonce très fraiche. Je m'éclipse discrètement pour observer le coucher du soleil sur la Langue de Barbarie.


À mon retour, je bavarde un peu avec Claude. On branche le groupe électrogène pour une heure, le temps de dîner une omelette délicieuse devant le journal télévisé, le poste branché sur la chaîne nationale « RTS ». On n'y parle que des élections. Le président Wade est en pleine campagne, tout le monde l'acclame sur son passage. Tout le monde semble l'aimer et le glorifier. C'est une chaîne nationale, ça ne fait aucun doute. Une semaine plus tard, il recevra une cinglant revers après dépouillement des urnes. La propagande n'a pas suffi, pas plus que le rachat des cartes d'électeurs et autres procédés douteux.

Ibrahim et Claude sont méfiant à l'égard du président. J'entends ici le même discours que dans toutes les familles aux revenus modestes. Wade construit des infrastructures. Beaucoup de routes. C'est bien mais ça ne fait pas manger. Mange-t-on du goudron ? Le constat est identique partout. La crise a frappé ici aussi. Elle a frappé fort. Le sac de riz a plus que doublé depuis l'arrivée au pouvoir de Wade. Le sucre, le lait, connaissent le même sort. Les familles pauvres ont du mal à s'en sortir.

Malgré les difficultés, l'accueil et l'hospitalité règnent en maîtres partout dans le pays. Je m'en aperçoit encore davantage dans cette maison qui ne peut se permettre de faire fonctionner l'électricité qu'une heure par jour, qui n'a ni gaz ni eau courante et qui, pourtant, m'ouvre ses portes naturellement. On dit que ce sont ceux qui ont le moins qui donnent le plus car ce sont les plus riches. J'en reconnais la véracité jour après jour.

Après le dîner, Claude me laisse car il doit partir dans un village voisin, le temps de nourrir ses oies. Je lui demande :

    • Ton village est loin ?

    • Non, non. Tout près.

    • C'est-à-dire ? Je connais le « non » sénégalais !

    • Cinq kilomètres.

Soit une bonne heure de marche pour s'y rendre alors que la nuit est tombée. Il lui faudra ensuite effectuer se besogne avant de revenir ici pour dormir. L'homme est courageux et il démontre ses capacités de marcheur. Que devais-je attendre d'autre de la pat d'un Touareg ?

Je ne tarde pas plus longtemps à aller me coucher. Je vis avec le soleil partout où je me rends. D'autant plus dans les villages sans électricité où on gagne à vivre en harmonie avec le jour.


Après une bonne nuit de sommeil, je remercie chaleureusement mes hôtes en oubliant malencontreusement un billet, posé bien en évidence dans la chambre. Des enfants avec qui j'ai fait un peu de lutte la veille sont déjà dans le sable à jouer alors qu'il n'est pas huit heures du matin.

Je me rends directement au Parc National de la Langue de Barbarie voisin. Mais voilà, je suis au Sénégal et on a beau annoncer et afficher partout que le parc ouvre à sept heures, il n'en est rien. Ou plutôt si. Le parc est bien ouvert. J'y entre le plus facilement du monde. Je prends quelques photos. Je finis enfin par finir ma nuit près du guichet vide.

À neuf heures trente, un gardien du parc vient enfin.

    • Vous n'avez pas vu de piroguier ?

    • Non. En fait, vous êtes le premier.

L'homme en treillis et grosse bottes de cuir montantes grogne un peu, puis peste contre les piroguiers qui travaillent à leur compte en société privée mais ne sont jamais là.

Je pensais que le parc était un grand lieu de tourisme au Sénégal ; il n'en est rien. Je serais sans doute le seul visiteur de la journée. Quand il y a quatre personnes par jour, ça tient déjà du miracle à cette période de l'année, m'avertit le gardien. Avec la crise, les touristes préfèrent les plus grandes réserves du pays. En réduisant leur séjour, me dit-il aussi, ils ont tout simplement rayé la Langue de Barbarie de leur programme.

Le gardien appelle le piroguier prévu pour aujourd'hui, puisqu'ils travaillent à tour de rôle, et m'invite à venir prendre le thé. Finalement le thé s'éternise et se transforme en petit déjeuner, suivi d'un nouveau thé saupoudré de diverses discussions sur la condition féminine et l'adultère en particulier. La cuisinière rigole dans son coin. Elle ne dit rien mais n'en pense pas moins. Lorsque le piroguier arrive enfin, il lui faut encore prendre son thé et son petit-déjeuner. « Amoul solo », il n'y a pas de soucis. Je ne suis pas pressé.


La Langue de Barbarie est une zone idéale pour observer les oiseaux migrateurs. La biosphère est extrêmement riche sur le fleuve Sénégal, à deux pas de l'océan. L'île qui trône au milieu du fleuve, « l'île aux oiseaux », est le paradis des volatiles qui viennent pondre ici chaque année à la même période, celle-si étant différente selon les espèces.

J'observe ainsi de très près des pélicans, des aigrettes, des hérons cendré, des cormorans à bec rouge ou des mouettes à tête grise, les plus agressives, prêtes à protéger leur territoire s'il le faut. Je ne suis pas un expert en ornithologie mais le spectacle est impressionnant, même pour un novice. Le rassemblement de ces populations est si dense pour un si petit bout de sable, le bruit si assourdissant quand on se rapproche, que c'en est déroutant.

La balade en pirogue, elle aussi, est des plus agréables. On se pose bientôt sur la langue pour franchir les quelques dunes de sable qui nous séparent de l'océan. Là, je joue avec des crabes craintifs, peu habitués aux visiteurs. En reprenant la route, au gré du courant, on prend une embarcation en stop. Pirogue-stop. J'apprécie le concept.

La Langue de Barbarie que je quitte bientôt, sans être à couper le souffle, demeure un endroit assez unique ou la biodiversité se doit d'être protégée. Or, le site est menacé par la stupidité de quelques hommes politiques qui n'ont pas tenu compte des protestations des écologistes. Ils ont tout simplement ouvert la bande de sable sur plusieurs mètres, il y a de ça quelques années, pour éviter à Saint-Louis d'être inondée. Aujourd'hui, le trou est devenue une ouverture béante sur l'océan. Plusieurs centaines de mètres à présent. Non seulement Saint-Louis n'est pas à l'abri, mais cette toute la biosphère qui a été perturbée. La brèche est devenue la nouvelle embouchure du fleuve et la Langue de Barbarie pourrait disparaître. Fin de l'exposé. Il n'y a rien à ajouter.


Avant de partir tout-à-fait, je rends visite une nouvelle fois à Claude. On parle de ses projets. Il est fascinant. Il me confit qu'il a réfléchi toute la nuit à une phrase que je lui ai dite hier. Je m'étonne.

    • Tu m'as dit : « Le plus important, c'est la volonté ».

La phrase qui me semble, aujourd'hui encore, des plus anodines l'a profondément marqué me jure-t-il. Il m'assure que la clé est là et qu'il a beaucoup appris de moi. Je ne sais pas où me mettre, ce qui ne m'empêche pas de persister et de signer dans mes propos. C'est bien la volonté qui me conduit, pas après pas.

Je le quitte un peu plus tard après de longues poignées de main pleines de respect. Une longue route m'attend encore. Je garderai longtemps l'image de cet homme au ruban bleu et à l'esprit si bouillonnant.

Saint-Louis

 

Levé avec le soleil comme à l'accoutumée, j'enfile mon sac sur le dos et je pars pour le centre de Dakar. « Pompiers », d'après l'appellation des habitants, c'est le lieu de rendez-vous pour tous les départs lointains en taxi-brousse, mini-cars ou ndyaga ndiaye. Gare routière à l'africaine avec ce que cela comporte comme complications, c'est surtout un lieu grouillant de vie et un passage obligé pour tous les voyageurs qui bourlinguent par leurs propres moyens.

Ici, l'attente est longue, au-delà de la normale, ce qui n'est pas anodin. Une fois la destination annoncée à une pelletée de chauffeurs et rabatteurs en tous genres, on nous indique les véhicules envisagés et on nous fourre dedans. Ce serait hélas une erreur de penser que le tour est joué à ce moment précis. En effet, la loi ultime de toute gare routière est la patience extrême de chaque individu. Je me retrouve ainsi à attendre un peu plus de deux heures que mon mini-car se remplisse avant de pouvoir partir pour le nord du pays. Deux heures, assis sur le même siège de car sans avancer d'un centimètre, c'est pesant, à la limite de la torture mentale. On sait pourtant que c'est la règle du jeu, qu'il en va toujours de même pour chaque déplacement dans le pays, qu'on ne sait jamais exactement combien de temps il faudra avant de quitter ce maudit parking qui nous sort par les yeux. Passée la première heure à contempler amèrement les 7 places qui quittent péniblement la foule d'ambulants accrochés aux portières pour vendre une carte téléphonique, des fruits ou des lunettes de soleil, on ne trouve simplement plus aucune occupation et on s'isole du monde, écouteurs branchés aux oreilles, en priant pour que personne n'allume la radio.

Deux heures à patienter pour trouver dix-huit personnes au total pour remplir les dix-huit places du mini-car. Pas question de partir avec un siège vide, la rentabilité est poussée à l'extrême, naturellement. Quand le dernier passager arrive enfin, c'est presque une ovation qui lui est faite. On a envie de l'embrasser pour le remercier chaleureusement d'avoir eu la bonne idée d'avoir la même idée que nous.

Je décolle donc enfin de Dakar avec une Mama qui tente encore de me vendre les cacahuètes

de la dernière chance et frôle de près la chute quand nous prenons de la vitesse. À mes côtés, quelques joueurs de foot, quelques femmes sur leur trente-et-un et deux anciens qui se disputent le respect de l'autre auprès de l'ensemble des passagers. Le vainqueur est un grand type maigre qui passera l'intégralité du voyage à draguer une jeune étudiante de Dakar que le respect empêche de devenir désagréable avec le patriarche. Pour moi, c'est juste répugnant.

La route du nord est assez agréable en revanche. Un véritable billard à partir de Thiès. Derrière les fenêtres, je croise quelques villages disséminés. Ce n'est pas la petite côte, assurément. Il faut bien attendre quinze kilomètres avant de trouver le signe de vie suivant dans ces immenses étendues de sables et de baobabs.

À partir de Kébémer, les baobabs laissent leur place aux palmiers. Le paysage se vallonne quelque peu, juste le temps de croire qu'il existe un relief au Sénégal, cet autre plat pays. Les petits villages rencontrés me montrent presque toujours le même visage. Celui d'une regroupement d'habitations fragiles le long de la nationale, source de richesse permanente, qui voit défiler touristes comme chefs d'états. Les gens sont là, assis sous l'ombre des arbres, et passent le temps à discuter, surtout les hommes, tandis que les femmes vont puiser l'eau très profondément et transportent des charges impressionnantes sur leur crâne suant. La vie se déroule au ralenti comme dans le reste du pays alors que l'excuse de la chaleur n'est pas encore d'actualité en ce frais mois de mars. Quelques troupeaux de chèvres ou de buffles viennent parfois troubler la quiétude de ces places trop paisibles d'un raclement gauche, venant perturber l'inactivité des hommes. Un coup de fouet les rappelle à l'ordre en claquant leurs flancs maigres. Je poursuis ma route.


Saint-Louis. Je pose le pied dans l'ancienne capitale. C'était le cas jusqu'en 1958 et l'indépendance du Sénégal. C'est un saut en arrière dans le temps. Pas de cinquante ans mais d'un bon siècle bien tassé. L'empreinte coloniale est une marque au fer rouge sur les murs de la ville. Les maisons portent le poids de l'Histoire. Fenêtres et balcons n'en finissent plus de rappeler la vieille France. Laissée à l'abandon, Saint-Louis dénigre peu à peu ses couleurs pastelles sous la lourdeur fatale de son âge.

La nouvelle ville s'étend loin de là, sur le continent où tout est plus récent, où tout est sénégalais. Sur l'île et sur la langue de Barbarie, c'est le vieux Saint-Louis, celui du colonialisme et des Français alors peu importe qu'il parte en poussière. Seule l'Unesco semble y tenir plus que de raison et s'efforce de le sortir de son long sommeil pour le remettre sur pieds.

Qu'il fait pourtant bon flâner dans ses rues aux noms d'écrivains ou sur ses quais chargés de pirogues multicolores. Sous l'ombre d'un palmier, une femme lave le linge de la maison quand une chèvre allaite son petit devant moi. Un âne passe et me dévisage en croisant une boulangerie qui déverse ses odeurs de pain frais dans tout le quartier.

Le vieux Saint-Louis est un petit village, un îlot transformé en havre de paix en comparaison de la nouvelle capitale, folle et bruyante. Ici ou là, on trouve encore un vestige de l'aéropostale ou une garnison tranquille au coin d'une rue, non loin du Pont Feidherbe construit par Eiffel. Je m'y ressource volontiers en oubliant rapidement les petites tracasseries de Dakar. Une grande bouffée d'oxygène avant de poursuivre ma route.

lundi 16 mars 2009

Baptême musulman

 

Visage autrement plus ouvert de l'Islam avec aujourd'hui le baptême de l'enfant de la meilleure amie de notre cuisinière. Autant dire la famille proche. Nous sommes tous conviés aux festivités et nous nous parons, hommes comme femmes, de nos plus beaux attraits. Je me costume d'un boubou orange foncé pour l'occasion, avec des broderies jaunes au niveau de la poitrine. De temps à autres, accoutré d'un chapeau blanc de pratiquant layène que Bou m'enfonce sur le crâne, je passe pour un vrai Musulman.

Nous nous présentons donc devant la maison des parents du petit Djibril, un ange Gabriel descendu au Sénégal. Le père nous reçoit chaleureusement, nous serre la main à tous et prend les nouvelles attendues de la famille, la santé, le troupeau de chèvres, etc. On nous fait asseoir dans une grande pièce du rez-de-chaussée. On nous apporte ensuite des chaises pour que l'attente soit plus confortable. Si les Sénégalais sont tous assis, c'est que l'attente sera longue à n'en pas douter, alors on accepte volontiers la chaise qu'on nous tend.

A l'extérieur, sous des grandes bâches tendues, une centaine d'autres convives attend aussi la suite des évènements. Tous jouent aux cartes, parlent de la famille et surtout boivent le thé. Avec les invités plus ou moins officiels que la maison peut contenir, nous sommes peut-être deux cents à cette fête. C'est un grand baptême visiblement.

En fait, je ne comprends pas exactement quand à eu lieu la cérémonie religieuse. On m'annonce tantôt que c'était ce matin à onze heures, tantôt que c'était il y a deux mois déjà. L'essentiel n'est pas là. Tout le monde est à présent réunis pour les festivités d'après baptême, un moyen de réunir toute la famille et les amis et de montrer qu'on sait recevoir. Nous sommes au pays de l'hospitalité et il est de bon ton de parfaitement accueillir une foule d'invités connus ni d'Ève ni d'Adam.

Alors le père se démène comme un beau diable pour que personne ne manque de rien. Une table ? Une chaise ? Un thé ? Il a tout ce que vous voulez à portée de mains. Il doit d'ailleurs s'occuper de tout, tout seul, puisque la mère et ses copines ne sont toujours pas revenues de chez le coiffeur. Il est quatorze heures.

Seuls blancs à l'horizon, nous bénéficions d'un traitement de faveur supplémentaire. On nous fait l'honneur de nous présenter l'homonyme de l'enfant. Non, rien de particulier, si ce n'est que l'homme porte le même prénom que le dernier-né.

Et puis comme nous commençons à trouver le temps longs, nous ne sommes pas Français pour rien, nous entamons à notre tour une partie de cartes. Par un coup du sort, je me retrouve à jouer à la belote avec un coéquipier sénégalais qui n'a visiblement pas saisi toutes les subtilités du jeu. En fait, c'est les bases qu'il devrait revoir. Peu importe la couleur de l'atout, peu importe les cartes qu'il a en main, il prend à chaque fois et nous voilà dans un challenge quasi impossible à relever à chaque partie. Ici, pas d'annonce. Pas de belote et rebelote, pas plus que de dix de der. Bou tente même une variante lorsqu'il décide de prendre à « sans ». La partie consiste alors à jouer sans les atouts. L'as est la carte la plus forte à toutes les couleurs. J'ai tous les as et les dix dans mon jeu, ou peu s'en faut, il se prend un capot. Merci pour la variante.

Le repas est enfin servi. Il est seize heures. Des dizaines de plateaux de Thiebou Djène circulent bientôt à l'intérieur comme à l'extérieur, au-dessus des têtes des invités. Autant de petits cercles se forment pour déguster le plat national d'un seul élan. Avec la faim qui me tiraille en permanence, je me lève très tôt et l'attente avant le déjeuner est toujours interminable, j'ai l'impression de passer pour un mort-de-faim à chaque bouchée. J'ai un peu honte de ma voracité mais comme tout le monde y va de bon cœur pour taper dans le plat, je ne m'accuse d'aucun remords plus de trois secondes, le temps de prendre ma fourchette et de souhaiter « bismilah » à mes partenaires de tablée.

Après le repas expédié, un jus de bissap en guise de dessert, nous reprenons nos habitudes de cartes et de thé quelques temps. Le temps qu'il faut aux femmes du groupe pour annoncer qu'elles souhaitent se retirer à l'appartement pour enfiler leur seconde tenue de la journée, celle de la soirée. À la pointe de la coquetterie, elles sont parfaitement dans l'esprit sénégalais du jour et passent pour des femmes très élégantes ce qui est bien vu. Cela me sauve, personnellement, des parties de belote avec mon coéquipier qui n'abandonne pas aussi facilement ses mauvaises habitudes et nous entraîne inévitablement dans une spirale de défaites à laquelle je ne suis pas mentalement préparé.


Nous reprenons la route des festivités vers vingt heures. La rue est bloquée par l'immense rassemblement de la famille et des amis autour d'un groupe de percussions. À bien y regarder, c'est un rassemblement de femmes exclusivement. Je suis presque le seul homme de l'assistance. Même le père de l'enfant n'assiste pas à cette partie de la cérémonie.

Des femmes viennent tour à tour se désarticuler devant les djembés et passent aussitôt le relais à une autre, toute aussi sautillante. Dix secondes tout au plus par personne, le temps de lever la jambe deux ou trois fois en secouant sa jolie robe de soirée et de repartir s'asseoir à sa place en sautant, entre gêne et fierté d'être passée devant tout le monde. On me raconte que lorsque les cérémonies s'éternisent, les femmes vont parfois danser jusqu'à épuisement. Certaines femmes entrent soudain en transe et tombent comme des mouches, inconscientes, sur le sol. Rien de tout cela ce soir, l'ambiance est bon enfant et l'on salue encore et toujours la mère de l'enfant qui n'en finit plus d'entrer et de sortir du cercle pour serrer des mains.

À côté d'elle, on trouve ses amies proches, dont Awa, toutes habillées en blanc. Dans les premiers rangs du cercle, on trouve aussi les co-épouses en bleu. Autres femmes du même mari ou plus souvent épouses des frères et demi-frères, on les rassemble sous la même étiquette de co-épouses ce qui permet de les reconnaître au premier coup d'œil. En rose, viennent ensuite les tantes, etc. Le code couleur est fondamental. Rien n'est laissé au hasard.

Un peu plus tard dans la soirée, nous sommes invités à nous restaurer de nouveau à l'intérieur de la maison, sous la tutelle bienveillante du père qui continue de tout organiser dans l'ombre des femmes, une fois n'est pas coutume. Mouton à l'os accompagné de frites et de salade, sauce aux petits oignons. Nous faisons encore une fois la misère aux plats qu'on nous propose. Awa s'occupe de nous à merveille si bien qu'elle en oublie parfois de nous laisser pour rejoindre ses amies. Il faut la pousser pour qu'elle retrouve sa meilleure amie, star d'un soir. Mais voilà, accueil et hospitalité sont maîtres mots au Sénégal, difficile d'aller à leur encontre.

Nous assistons en fin de soirée à la remise des cadeaux. Une fois de plus, la caméra immortalise l'évènement. Elle n'aura rien manqué de la cérémonie, du début à la fin. Toute l'assistance aura été filmée en long, en large et surtout en travers, car le cadreur n'est pas des plus stables. Il éclaire chaque scène avec son mini projecteur fixé sur son épaule ; de quoi nous aveugler à chaque fois qu'il réalise que des Toubabs sur la bobine serait une bonne idée.

Nous quittons finalement la fête après quelques photos prises en compagnie d'Awa, petite mère pour nous, qui nous a ouvert les portes de ces célébrations surprenantes, en plein cœur de Yoff village, là où nous vivons mais dont nous ne connaîtrons vraisemblablement jamais les codes et les rouages à la perfection.

Aïd El Moulid

 

Ce soir, c'est Aïd El Moulid, la fête de la naissance du prophète chez les Musulmans. C'est une fête qui est célébrée par toutes les confréries, autant dire que l'évènement est de taille ici au Sénégal. Même si les plus grosses festivités sont prévues à Thiès, seconde ville du pays, Yoff devrait dispenser son lot de surprises pour le néophyte que je suis.

Dès dix-huit heures, les pèlerins commencent à abonder en direction des mosquées et du saint mausolée à deux pas de chez nous. Tous de blancs vêtus, ils déambulent tels des fantômes perdus dans nos ruelles de western, juste sous nos fenêtres.

C'est vers vingt-trois heures que c'est le plus impressionnant. La fête est supposée débuter à minuit et les Musulmans déferlent de plus en plus nombreux vers le centre de Yoff. Notre rue, d'habitude occupée par de discrètes calèches, est englouties sous le flot continue de N'Diaga N'Diaye, de taxis et de 4x4 remplis à craquer par des fidèles costumés de blanc des pieds jusqu'à la tête. Même les Tata sont de la partie, pour accompagner gratuitement les masses le plus près possible du mausolée.

Bien vite, la petite artère est débordée et les bouchons sont inévitables. Les chauffeurs, portés par les photos de leurs marabouts, croient bon de tenter des demi-tours à ce moment précis mais ils ne créent que complications sur complications. Du haut de mon balcon, je contemple amusé une situation qui n'a rien à envier au grand Paris. Et puis les gens s'énervent, les klaxons retentissent et des jeunes veulent en venir aux mains alors que je bois le troisième thé de Khaba, expert en la matière.


J'entends encore toutes ces réflexions quant à la présumée sagesse africaine. Les Africains prendraient tout avec le recul nécessaire et transmis par les anciennes générations. Autant de stéréotypes qui faisaient d'eux des hommes un peu mystiques pour moi. Hélas, il n'en est rien du tout. Je vois encore quelques Toubabs s'extasier devant la patience de certains Sénégalais en riant de mon côté. Ils ne sont certainement pas plus patients que nous. Au contraire même. Ils ont simplement pris l'habitude de tout voir tourner au ralenti alors ils n'attendent juste pas pour les mêmes choses que nous. En revanche, quand il faut aller quelque part, pas question de marcher ou d'attendre un bus, il faut prendre un taxi en quatrième vitesse sous l'excuse que c'est pas cher. Si le patriarche veut fumer, il criera de toutes ses forces pour appeler un jeune ou une femme de la famille afin qu'il ou elle aille à l'épicerie du coin pour lui acheter ses cigarettes à l'unité.

Depuis plus d'un mois en Afrique à présent, j'analyse autant que possible les hommes et les femmes que je croise et je comprends que nous autres occidentaux prenons des choses pour ce qu'elles ne sont pas en réalité. Un miroir aux alouettes. La lenteur d'un pays devient sagesse africaine. Les convenances deviennent coutumes. Les attitudes réactionnaires à souhait deviennent le lourd poids des traditions ancestrales. J'avais, dans un premier temps, une vision de désordre face à moi. Au fil des semaines, je remarque que c'est tout l'inverse. C'est au contraire une imbrication parfaite. Tout est bancal mais si on ne touche à rien, rien ne s'effondre. Alors chacun jure ses grands dieux et personne ne bouge le petit doigt de peur de perdre cet état osmotique de façade.

Il y a bien quelques personnes qui militent pour changer les choses mais elles s'opposent à un mur d'intolérance qui porte en étendard la menace des traditions. Combien de fois ai-je entendu depuis que je suis là « on a toujours fait comme ça, pourquoi devrais-je changer » ? C'est le paroxysme de l'aveuglement. Après tout, « c'est le Sénégal ! ». Surtout ne pas se remettre en question. Surtout pas.

Alors quand on touche aux sujet des femmes, c'est encore pire. Il semblerait même, d'après mes lectures diverses, qu'on assiste à un durcissement social face aux libertés de celles-ci. La seule façon aujourd'hui envisagée pour l'émancipation des femmes serait de passer par leur implication plus grande dans la religion, lisais-je encore ce matin dans les journaux. Mais que faire alors quand on vit dans une religion écrite par les hommes et pour les hommes. J'avais jusqu'à présent l'image d'un pays où la religion était assez souple mais qu'en sera-t-il si l'on se dirige vers un intégrisme proche-oriental ?

Je suis assez consterné de voir qu'ici, la religion dirige tout. Même les transports en communs sont financés par les marabouts. Ces derniers sont les grands bénéficiaires du système de vie en Afrique de l'ouest. Il ne font rien que parler et promettre à tort et à travers pour qu'on leur offre tout ce qu'ils désirent sur un plateau d'argent. Il suffit en réalité d'être un bon orateur et l'on peut devenir le roi du pétrole ici. Ça ne sert à rien de dire que les politiques sont tous corrompus et que c'est la raison pour laquelle le système africain n'avance pas comme il le devrait. La raison est toute autre. Bien en amont. On se cache derrière les politiques précisément. C'est tout un système de penser qu'il faut remettre en question. Un bon coup de pied à mettre dans la fourmilière. Sinon, ce n'est pas vingt ans de retard que devra rattraper le pays mais plutôt cinquante, et encore.


Pourquoi ce ton si dur de ma part ? Parce que le pays est à l'heure des élections locales. Les premières, depuis la nomination de Wade comme nouveau président il y a deux ans, où l'opposition sera représentée. Or, les jeunes n'ont pas l'intention de se rendre aux urnes. Ils ne se sentent pas impliqués. Pas concernés. Dans le même temps, ils fustigent le gouvernement qui ne fait rien pour eux. Tout cela en attendant les résultats bien sagement, à l'africaine, en préparant du thé à la maison. On attend les scores mais surtout on ne prend pas part au match. On laisse les autres décider pour soi.

Cette façon de penser, je la critique déjà en France, mais ici c'est encore plus frappant. Comment, dans ce pays volé par les dirigeants, les jeunes peuvent-ils oser jouer l'indifférence et renier les principes de leur jeune république ? C'est pour le moins scandaleux et cela frôle l'inconscience. Je suis outré.


Les bruits du Moulid me tirent de mes réflexions politico-sociales. En réalité, je ne parviens pas à penser la politique africaine sans ma vision moralisatrice à la française et je suis sans doute le plus consternant de tous ici. Peu importe.

Minuit passé, nous sortons dans les rues pour la célébration, direction le mausolée et les mosquées. L'Islam présente son plus beau visage. Les gens sont tous unis pour la même cause spirituelle et c'est à en oublier les bousculades et les railleries de certains quant à la présence de quelques blancs ici. Il s'en faudrait de peu pour me faire croire qu'ils sont tous aussi tolérants qu'ils le laissent entendre.

Sous des tonnelles, des femmes exécutent des dansent alors que des hauts parleurs crachent de chants layènes assourdissants et peu mélodiques. Des cris « ya la la » ou « la ya ya » de chèvres qu'on égorge viennent emplir tous les espaces acoustiques disponibles à mon grand dam. Je ne me ferai pas à ces chants, j'en suis persuadé. Et c'est vraiment dommage car l'énergie que dépensent ces femmes dans leurs chorégraphies mériteraient que je m'y attarde plus souvent. Mais les chants layènes sont tellement éloignés de ce que mes oreilles sont prêtes à supporter que je préfère toujours me tenir à distance de ces rassemblements, fréquents dans le quartier.

Dans les ruelles qui bordent une mosquée, des marchandes proposent des fruits, des gâteaux et des petites brochettes fort appétissantes. La soirée ne fait que commencer, elle devra se poursuivre jusqu'au petit matin.

mardi 10 mars 2009

Retraite spirituelle

 

Cette fois, c'est décidé, je pars tracer ma route en solitaire, loin de l'appartement et le confort de Yoff. Loin aussi des autres, que j'aime beaucoup, là n'est pas la question, mais surtout plus proche de moi. De tous mes voyages, je n'ai pas connu meilleurs moyens de rencontrer les populations locales qu'en allant les voir chez elles, seul.

Je m'embarque donc pour une bonne matinée de galère dans les transports en communs sénégalais, toujours aussi longs et pollués de musiques assourdissantes, direction Joal, la ville de naissance du grand Lépolod Sédar Senghor, premier président de la République du Sénégal et ancien académicien. Joal marque aussi le sud de la petite côte. De là, je compte remonter ce petit bout de terre à pieds, pourvus que ceux-ci ne me fassent pas faux-bond en route.

A peine arrivé à la gare routière, un expatrié m'aperçoit de son œil affuté et me propose de venir manger avec lui. J'accepte. Il me demande si je veux venir visiter le « Calypso », son auberge à quelques mètres. Pas de problème, je le suis. À l'intérieur, il me montre une chambre, fort bien soignée par ailleurs et me dit que c'est 6.000 CFA la nuit. Bien sûr, ce n'est pas ma vision du voyage et je lui en fais part. Je lui indique aussi que je compte remonter la petit côte à pieds et si possible toujours être logé chez l'habitant. Il me regarde avec de gros yeux de Sénégalais étonné, une bonne dizaine d'années ici doit pouvoir suffire pour y parvenir avec brio, et me dit qu'il ne le ferait pas. Voilà qui ne m'étonne qu'à moitié à vrai dire. Qui, du reste, serait assez fou pour faire un tel chemin à pieds, j'ai prévu trois bons jours de marche, quand les transports en communs sont si peu chers. Sauf que, justement, ce n'est pas une question d'argent, et ça, personne ne semble le comprendre. Pas plus ici qu'ailleurs. L'aubergiste me dit alors que c'est « tant pis ». Tant pis surtout pour le déjeuner qui ne reposait que sur la parole d'un businessman français expatrié pour faire des affaires au soleil.

C'est ainsi que je reprend ma route. À pieds. La gare routière ne m'a déposé qu'à la bordure de la ville de Joal. Il me reste six kilomètres à parcourir pour y être véritablement. Nous sommes en mi-journée et la chaleur est intenable. Il s'est remis à faire chaud depuis ces derniers jours, d'autant plus qu'ici nous sommes plus au sud. Nous frôlons les quarante degrés cet après-midi ; il fera encore trente-deux degrés à dix heures ce soir, non loin de là. Je commence donc ma route à l'envers. Pas vraiment comme prévu. J'hésite à prendre un taxi pour partir du point le plus bas de la côte et ne faire que remonter la petit côte, pour une ou deux heures de marche aussi. Mais je n'en ferai rien. Je suis motivé comme jamais. Ou plutôt comme d'habitude.

Joal est un petit village sénégalais où il semble faire bon vivre. Un immense port avec un débarcadère couvert brasse des centaines de pêcheurs et de crieurs à la pelle. Les relents de poissons frais et moins frais ne me découragent pas de le traverser dans toute sa longueur. Le voyage, c'est aussi les odeurs et je m'en prends plein les narines. Je me prends aussi beaucoup de sable. Comme dans tout le pays, certes, mais quand on avance, vent de face, ce n'est plus la même histoire. Je me rassure en me disant que je finirai bien par aller dans l'autre sens dans quelques heures, il me suffit donc pour le moment de plisser les yeux et de marcher tout droit.

Tout au bout de Joal, se trouve les passerelles de bois qui relie le village à son jumeau Fadiouth. Fadiouth est une petite île recouverte de coquillages blancs qui explosent sous les pieds. Catholique à 90% comme quelques endroits sur la petit côte, Fadiouth vit autour de la mission, des saintes chapelles qui s'appellent Notre-Dame de Lourdes ou autre Saint François-Xavier, et du cimetière mixte : musulman et chrétien. Le village est un bel exemple de la tolérance que l'on peut trouver au Sénégal, tellement loin des tombes profanées de chez nous. J'en profite pour me recueillir dans la grande église blanche surmontée d'un grand cœur rouge bien kitch. Je pense alors aux miens dans un moment de paix et de bien-être intérieur absolu.

Un peu plus tard, après avoir quitté le cimetière, je suis interpellé par Williams, ça ne s'invente pas, qui me demande ce que je viens faire ici, moi le confrère catholique venu de loin. Je lui explique que je suis sur le point de marcher, en solitaire, pour penser. Très rapidement, ma retraite devient retraite spirituelle. Il ne fait aucun doute à ses yeux que j'accomplis une sorte de pèlerinage au nom de Dieu. Il y a sans doute un peu de vrai dans ces propos même si je ne marche officiellement pour aucun Dieu. J'ai certes reçu une éducation catholique depuis mon baptême et demeure très attaché à certaines valeurs catholique, mais je ne ne suis pas le pratiquant que Benoît XVI pourrait espérer croiser en chemin. Il n'empêche que l'idée de Williams, avec un « s » attention, me plaît particulièrement. Je ne fais rien de mystique. Je ne suis pas un illuminé et ne marche pour aucun gourou. Je ne fais que marcher, seul, pour penser. Aussi, la retraite spirituelle me convient parfaitement. Veulent y voir ce que voudront les uns et les autres, ce n'est pas essentiel à mes yeux. Je voyage pour moi-même. Fin de l'histoire.

Williams est impressionné par mon ambition et appelle sa mère aussitôt.

    • Tu veux venir manger à la maison ce midi ? Ma mère est d'accord.

    • Bien sûr !

Je ne manque jamais une telle occasion. On ne refuse pas l'hospitalité, comme on ne refuse pas une main tendue. Trop grands seraient les regrets par la suite. Je réalise alors la chance que j'ai, une fois encore, de tomber par hasard sur quelqu'un de si généreux qui donne sans compter, qui donne tout simplement car c'est plus important que de recevoir. Voilà même pas une demi-journée que j'ai entamé mon périple et je suis déjà convié dans l'intimité d'une famille du village. Quel bonheur !

    • Avant d'aller à la maison, je dois rapporter la pirogue au port. Tu as le droit de prendre le bateau ?

    • Il est où ton port ?

    • De l'autre côté de l'île.

    • Alors non. Où alors on devra refaire le chemin à pieds pour ne pas tricher dans ma démarche.

    • Ok.

Nous voilà donc partis pour un tour de pirogue à deux tout autour de l'île aux coquillages, comme disent les habitants. Williams m'invite à essayer de mener l'embarcation. Je m'y essaye sans trop y croire. Après nous avoir bien enlisés sur les bancs de sable, je lui rends son bâton. Il est bien meilleur que moi. Chacun son boulot. Williams a vingt-deux ans. Il continue les études. En terminale cette année, il va tenter de réussir le bac cette fois. Ici c'est un véritable diplôme qui a une vraie valeur sélective. Très difficile à obtenir, il fait encore référence. Williams parle Wolof, Français, un peu d'Anglais et, plus surprenant, se défend pas mal en Espagnol. Il est motivé et s'il doit conduire les barques à touristes ce n'est qu'en dehors de ses cours pour aider financièrement la famille comme tous les fils en âge de travailler au Sénégal. Lui voulait d'abord être footballeur mais un accident l'a vite fait changer d'idée. Avant cela, il voulait même être prêtre mais le destin a tranché pour lui. Son frère, en revanche, est moine. En France. Il faut absolument que j'en sache plus. Je dois rencontrer sa mère.

Arrivé dans la pénombre de la maison familiale, parasitée par les télé novelas brésiliennes habituelles, je fais la connaissance de Thérèse, de son nom de baptême. Un grand portrait de Sainte Thérèse trône derrière moi et apporte un soutien évident à ces paroles. Des photos du fils aîné trône un peu partout dans la pièce commune. Il est la réussite de la famille sans nul doute. Il vit en ce moment en République Tchèque le temps d'une mission de quelques mois mais est encore rattaché à son monastère en France. « Un grand voyageur du seigneur ».

Thérèse me parle un peu d'elle et c'est très émouvant de la voir se confier à un étranger, appartient-il à la même communauté religieuse ou pas. Mais apparemment dans cette maison, tout est justement lié à ça. C'est avec la charité chrétienne que les portes m'ont été ouvertes, je dois bien le reconnaître. Esprit de solidarité dans ce monde quasi exclusivement musulman, pourtant lui aussi très hospitalier. Thérèse anime aussi le catéchisme du village tous les samedis matins. Je comprends mieux sa conviction et ses « amen » dispensés à chacune de ses phrases. Je suis en face de la ferveur chrétienne à l'africaine. C'est saisissant.

Après les bénédicités que je m'efforce d'accomplir au nom de la tablée, on m'offre un Thiébou Djène, le plat national, à base de riz et de poisson. Rien de surprenant, j'en mange ici deux à trois fois par semaine. Les autres plats ne sont que variantes de ce même plat de toutes façons. Pas de problème, je l'estime toujours aussi bon et n'en suis pas encore trop blasé. Pendant le repas on parle des différences de foi entre l'Afrique et l'Europe. Thérèse est déjà plus ou moins au courant de la nonchalance des jeunes Français face à la pratique active de leur religion à travers les propos de son aîné, mais elle plus accablée encore par mon témoignage. Je ne veux pas la décourager pour autant et parle de l'enthousiasme de certains de mes proches. Elle semble réconfortée.

    • Jean-Paul II était un aimant pour les jeunes, me confie-t-elle. Il attirait les fidèles autour de lui. C'est plus difficile aujourd'hui. Mais il faut croire. Amen

    • Amen.

J'en serai presque convaincu moi-même, l'espace d'un instant, tant l'endroit est propice à la conversion. Mais ma route est longue et je décline la proposition que m'est faite de rester pour faire la sieste. Thérèse est impressionnée par ma foi, que ce soit en Dieu ou autre chose, et m'encense de mille compliments. Je ne peux écouter ses paroles sans lui avouer le profond respect que j'ai pour une grande dame comme elle qui, courageuse, a su vouer sa vie entière à sa foi. Elle ne veut rien entendre et estime que le moindre pas que j'effectuerai dans ma quête sera une plus grande action que tout ce qu'elle n'aura jamais réaliser. Elle m'engage bientôt à joindre ses prières aux siennes sur ma route vers le nord. Cette route, je dois la faire au nom de tout ceux qui ne peuvent pas se déplacer. Même seul, on ne l'est jamais véritablement.

Williams m'accompagnera d'ailleurs quelques kilomètres jusqu'au centre de Joal pour montrer sa foi à sa mère qui l'accable quelque peu de ne pas se montrer aussi pratiquant que son grand frère ; comment le pourrait-il ? Puis je continuerai seul, avant la prochaine rencontre, le sac alourdi d'une fiole d'eau bénite en provenance de Lourdes, ultime présent de Thérèse au nom de ma route, aussi minime soit-elle.

Une heure plus tard, me voilà revenu à mon point de départ : le port couvert de Joal. J'ai déjà parcouru une douzaine de kilomètres sans avoir réellement avancé sur mon tracé. Sur l'aspect intérieur de ma retraite, en revanche, c'est une autre histoire.

Sur ma route, longeant la côte, je traverse des forêts de baobabs, solitaires et solidaires dans leur solitude tranquille et reculée. Des touffes jaunes de savanes disséminées au gré du vent viennent côtoyer mes foulées loin des villages. J'avance et je pense au rythme de mes pas inscrits le temps d'une vague sur le sable inoffensif. Je pense à Johanna, comme toujours. Je pense à ma famille et à mes proches. Je me demande ce qu'ils font tous à cet instant suspendu de toute temporalité pour moi.

Et puis je marche. Je m'arrête bien sous un abri de fortune le temps d'une mini-sieste à l'ombre car le soleil cogne de plus en plus, mais je reprends inlassablement ma route vers l'avant, laissant chèvres et buffles derrière moi, presque indifférent. Je marche jusqu'une langue de sable parfaite, séparant l'océan en deux devant moi sur plusieurs centaines de mètres.

La lagune est magnifique mais je suis obligé de traverser un hôtel à touristes si je ne veux pas continuer à la nage ou m'obliger à un détour inutile. Sans me presser pour autant, je ne m'attarde pas devant les gros ventres écrevisses qui bordent la piscine sur des transats d'aventuriers. Un gardien me court après pour me faire quitter les lieux mais il a tôt fait d'abandonner la partie voyant que sa course allait moins vite que ma marche. N'oublions pas que nous sommes au Sénégal, même la course est lente ici. Il n'en demeure pas moins que ces vacanciers ont eu le nez fin. Ce petit paradis est l'endroit idéal pour venir se poser le cul sur un transat autour d'une piscine, entre deux parties de tennis ou de sorties en quads. Une aberration pour moi...

Un peu plus loin, je suis de nouveau interpellé mais je ne fais pas mine de ne rien entendre. Un Sénégalais, puis trois, me rejoignent pour marcher un bout de chemin avec moi. Ils rentrent au village de Mbdiène, le prochain sur la côte. Ils me font l'historique du village, de ses traditions, de son ouverture religieuse. Ils me le vendent si bien que je suis prêt à m'arrêter ici pour la nuit. Il n'en faudra pas beaucoup pour que l'un d'eux me propose son toit, sans rien attendre en retour, naturellement. Il le fait aussi car les autres ne peuvent pas m'accueillir faute de place chez eux alors que chez lui la maison est grande et qu'il dispose de sa propre chambre. Le reste n'est que pures formalités. Je parle un peu de moi, de mon voyage qui les impressionne? Je parle aussi del'accueil qui m'a été réservé à Fadiouth et, comble de surprise, ils connaissent Wiliams. Le monde est bien petit.

En attendant le soir, je découvre l'arbre à palabres où se réunissent les gens du village pour bavarder quand il fait chaud. Sur la place centrale, face à l'église, se dévisagent un baobab et un fromager, les deux emblèmes de Mbodiène-village. Mbodiène est encore une fois un village à majorité catholique même si les Protestants et les Musulmans sont parfaitement bien intégrés, tout comme les nomades Peuls qui habitent de l'autre côté d'un minuscule fleuve. Laurent, chez qui je dormirai ce soir, Pascal, et Alliou, ce dernier est musulman ce qui explique le nom, m'invitent bientôt à serrer des mains et à prendre un café touba sur des bancs publics.

    • Il n'y a pas beaucoup d'activités ici, reconnaît Laurent. Ça doit te changer de Dakar.

    • C'est pour ça que je suis ici.

    • Oui mais c'est très calme tu vas voir.

Il a raison mais c'est bien la raison de ma présence. Je désirais me rendre dans ces endroits isolés où l'on compte plus d'animaux de basse-cour que d'Hommes. Quant à Dakar la bruyante ? Elle n'est pas tout à fait à mon goût. Aussi suis-je bien heureux de les avoir tous trois rencontrés sur mon chemin.

En allant chez Laurent, j'en apprends un peu plus sur lui et la motivation qui la conduite à m'offrir l'hospitalité.

    • Tu es catholique, me dit-il sans détour. Je ne peux pas laisser un catholique dormir dehors. Surtout un étranger en pèlerinage.

Me voilà cette fois au cœur d'un pèlerinage. Plus rien d'étonnant. J'accepte volontiers la remarque puisque apparemment je semble frapper de portes catholiques en portes catholiques au fur et à mesure de ma marche. Les coïncidences n'en sont pas pour tous ceux qui me reçoivent chaleureusement.


Soudain, tout bascule. Je suis flanqué au sol par une force inconnue. Peut-être le revers de la médaille. Trop de chance ne saurait être impunie.

Je m'assieds tant bien que mal contre un arbre, le temps de retrouver mes esprits. Après avoir parcourus les quelques derniers mètres qui nous séparaient de sa maison familiale, Laurent m'indique sa chambre où je vais m'effondrer, accablé de faiblesse et rongé par une fièvre puissante à me faire trembler tous les membres. Des goutes de sueur viennent perler sur mon front et j'ai extrêmement froid alors qu'il fait chaud à suffoquer aujourd'hui.

Je ne remercierai jamais assez la famille de Laurent pour son hospitalité aveugle. Ils m'ont offert la couche sans savoir qui était cet étranger malade qu'ils accueillait. Juste par générosité.

Je parviens à me relever après un court somme inquiétant, la fièvre amoindrie mais le corps toujours aussi faible. Je parle un peu avec l'oncle de Laurent, ancien caporal de l'armée sénégalaise, à présent fonctionnaire dans la compagnie des eaux, qui fait vivre toute la famille avec sa paie. Il me tient le même discours que Thérèse à Fadiouth. Pour lui, ce n'est pas la malchance qu'il faut voir mais tout le contraire. J'aurais tout aussi bien pu tomber à cent mètres du village, bien loin de leur maison et de leur soutien. Il a entièrement raison. Comment ai-je pu en douter un seul instant ? Ma bonne étoile toujours...

Je suis navré d'écourter notre discussion mais je suis contraint de lui demander la permission de retourner m'allonger pour récupérer. Il ne s'y oppose pas, bien au contraire, et multiplie les soins pour moi.

Après quelques heures, je reprends mes esprits. Toujours très affaibli, je marche au ralenti, j'ai des vertiges et toujours aussi froid, je conviens avec Laurent de faire le chemin jusqu'au centre du village où une veillée est organisée pour les Catholiques jusqu'à l'aube. La situation est indescriptible et demeure très floue pour moi. À ce moment je pense toujours être rétabli pour le lendemain et reprendre ma route comme prévue.

Assis sur un tronc, j'attends un appel de Johanna pour un moment de réconfort et de grande joie intérieure. Ensuite, plus rien. Je ne me vois pas retourner à la maison. Je ne me vois pas m'être couché. J'entends pourtant encore Laurent me dire qu'il va retourner à la célébration et prier pour moi.

La nuit est particulièrement douloureuse. Je suis réveillé plusieurs fois pour aller me vider littéralement aux toilettes du jardin. Tellement loin de la chambre. Parfois trop que c'en est gênant devant mon incontinence affligeante. Me voilà, à quatre heures du matin, à laver mon pantalon dans une bassine inconnues, à deux doigts de l'inconscience. Outre le fait de vomir et d'être pris de diarrhées continuelles, je suis attaqué par les moustiques. J'installe ma moustiquaire dans un état léthargique, réveillant au passage Laurent, revenu de la veillée entre temps.

Cette nuit restera gravée en moi comme une des plus pénibles de toute ma vie. Non seulement pour ma faiblesse mais plus encore pour le souci que je pourrais causer à cette famille par ma présence, eux qui m'ont ouvert leur bras si facilement.


Au petit matin, la fièvre est retombée. Malheureusement, je suis toujours extrêmement faible et il n'est pas question de continuer ma marche vers le nord. Tout le monde m'engage à rester ici deux ou trois jours s'il le faut, le temps que je me remette. Il n'en est pas question. Je ne leur imposerais pas l'ombre de celui que je devrais être en cette occasion. Je leur explique que je serai mieux dans mon appartement à Yoff, pour me soigner et prendre du repos. Ils comprennent et me donnent rendez-vous pour Pâques en espérant que j'irai bien vite mieux. Je les remercie chaleureusement. Je ne vois pas ce que je pourrait faire d'autre. Puis je me souviens que je transporte de l'eau bénite dans mon sac. Je propose alors d'en asperger leur maison en signe de ma reconnaissance. Ce geste est pour eux un immense présent et ils en remercie le Seigneur à n'en plus finir.

Laurent me raccompagne jusqu'à la route et me mets dans le premier bus en partance. Lui aussi m'accompagne de prières.

Le parcours est chaotique et tellement long. Entre deux bus, je trouve le temps, répondant surtout à un besoin incontrôlable, de visiter les toilettes de la gare routière de Mbour. Grand moment s'il en est. Après cela, c'est encore et toujours de la route. Je m'efforce de ne penser à rien et surtout pas à mon ventre qui crie sa douleur, rappelant par moments la fièvre à mon bon souvenir.

En milieu d'après-midi, je suis de retour à l'appartement dans un état pitoyable. Je m'effondre sur mon lit et ne réponds plus de rien.


Il m'a fallu trois jours de repos pour me rétablir parfaitement. Ces heures ont paru interminables et particulièrement improductives mais il ne saurait être de meilleur remède que l'inactivité. « Turista » cinglante doublée d'un bonne dose d'insolation, je me suis fait rappeler à l'ordre plutôt vivement. Ni inconscient, ni suicidaire, j'ai préféré privilégier ma santé avant tout. Il en sera toujours ainsi.

Si ma déception est grande aujourd'hui, c'est de n'avoir pas pu achever ce que j'avais commencé de manière si formidable. Je suis déçu de n'avoir pas pu porter les prières de ces Sénégalais rencontrés sur ma route jusque la basilique de Popenguine. J'ai surtout peur de les avoir déçus, eux qui croyaient en moi. Je porte en horreur l'abandon et j'ai pourtant renoncé malgré moi.

Je promets à toutes ces personnes, qui ont partagé avec moi un peu de nourriture, un toit et beaucoup de foi, de me rendre à Popenguine et d'accomplir ma retraite jusqu'au bout. Pour eux.

jeudi 5 mars 2009

humour local

 

Petite soirée posée à la maison. C'est l'occasion d'entendre l'humour sénégalais en pleine action. Ibou et Soukhou, des amis de la maison, tentent de nous initier à cet art si particulier. J'ai sélectionné un florilège des meilleurs histoires drôles pour rendre compte des différences interculturelles entre la France et le Sénégal.


    • C'est l'histoire des animaux. Il y a un grand rassemblement dans la forêt. Tous les animaux sont présents autour du lion, le chef des animaux. Comme un grand malheur est sur le point d'arriver, le lion propose l'idée suivante : il faut tuer l'animal le plus vilain de tous pour sauver l'ensemble des animaux. À l'écoute de ces propos, la hyène part en courant. Elle part si loin que plus personne ne la retrouve pendant de longs jours. Un beau matin, la hyène croise un cheval. Elle lui demande comment s'est terminé le grand rassemblement et qui ils ont décidé d'éliminer pour le bien de tous. Le cheval lui répond alors que personne n'a été éliminé et qu'une mise à prix a été fixée pour qui capturera la hyène. Le cheval annonce enfin que c'est lui qui gagnera le prix promis pour la capture de la hyène.

Fin de l'histoire. Les deux Sénégalais se tordent de rire devant nous. Nous ne pipons mot.

La suite est toute aussi irrésistible.

    • C'est l'histoire d'un ignorant qui habite un village isolé dans un village africain. Le conseil de sages lui annonce que c'est lui qui va être envoyé à Paris au nom de tous. L'ignorant s'étonne de se voir confier cette mission mais fini par prendre l'avion. Arrivé à Paris, il se rend devant la Tour Eiffel. Là, il questionne un passant en lui demandant à qui appartient la tour. Le passant lui répond : « Je ne sais pas ». L'ignorant aperçoit ensuite une sublime voiture de collection. Même chose, il interroge quelqu'un pour savoir qui est le propriétaire de la voiture. La personne ainsi interrogée lui dit aussi : « Je ne sais pas ». L'ignorant est impressionné par ce « Je ne sais pas » qui semble être très riche. Il se rend finalement devant un immense immeuble et recommence son questionnement. Encore une fois, on lui fait la même réponse : « Je ne sais pas ». Et soudain, devant lui, un accident de voiture intervient. Un conducteur meurt sur le coup. Lorsque l'ignorant demande qui était au volant et qu'on lui répond « Je ne sais pas », il déclare alors qu'il le savait : pareille richesse ne pouvait être possédée par le même homme sans qu'il ne lui arrive de malheur.


Troisième blague, s'il en est, proposée devant nos regards ahuris.

    • C'est un vieil homme qui va pour la première fois au cinéma. Pour cela, il quitte son village isolé au cœur de l'Afrique. Comme il est très poli, en arrivant devant le cinéma, il salue toutes les personnes qui font la queue, de la première à la dernière. En entrant dans la salle, il recommence et serre la main de tout le public, en demandant des nouvelles de la famille à chaque fois. Cinq cents personnes au total. Quand il a enfin fini, il trouve une place et s'assied. Son voisin lui dit alors que le film vient de se terminer. Le vieil homme jure alors qu'il ne reviendra plus jamais au cinéma.


Nous ne sommes pas franchement convaincus. Soukhou comprend que nous voulons quelque chose de « vraiment » drôle et s'apprête à nous sortir son arme secrète, l'histoire la plus drôle qu'il connaisse.

    • Un évènement n'arrive qu'une fois par an ici, c'est la grande soirée très sélective des aveugles de Dakar. Pour entrer, non seulement il faut être aveugle, mais il faut en plus avoir la tête complètement rasée. Les aveugles entrent, se présentent au guichet, se font toucher le crâne. S'ils remplissent les deux conditions, ils peuvent accéder à la soirée qui promet d'être extraordinaire à l'intérieur. Or, des racailles veulent s'inviter à la fête. Malin, l'un d'eux s'approche du guichet et annonce aux aveugles qu'il est lui aussi atteint de cécité. On lui demande alors de tendre son crâne pour vérifier qu'il est bien rasé de près. La racaille baisse alors son pantalon et, présentant ses fesses, annonce qu'il est venu avec son petit frère. Les deux hommes sont invités à entrer...


L'humour sénégalais nous fait finalement beaucoup rire mais pas pour lui-même. Plutôt pour l'absurdité du manque de chutes que les blagues proposent à nos oreilles occidentales. Ce sont plutôt des contes ou des anecdotes amusantes. On peut y voir certainement l'aspect fabuleux des histoires de griots d'antan, ou la sagesse des contes africains. Peut-être...

Réserve africaine

 

Week-end oblige, nous tentons de sortir de la presqu'île du Cap Vert où se trouve Yoff et Dakar. Avec Walâya, Fiona et Antoine, nous nous lançons à la conquête de la réserve de Bandia, à l'intérieur des terres, sur la petite côte.

Levé à l'aube pour me jeter dans des transports en communs surchargés devient une habitude pour moi un peu partout dans le monde. Les odeurs, la chaleur et les décibels grésillantes d'une vieille radio font partie du décor. Ce qui l'est moins, ce sont ces forêts de baobabs à gauche et à droite qui me font vite oublier les marchands ambulants et la circulation lamentable sur des routes ou des pistes qui ne le sont pas moins. Cet arbre est absolument extraordinaire. Les racines sont à la fois dans le sol et dans le ciel. C'est le relais parfait entre l'humain et le divin sur ces terres si pieuses.

En mode touristes, sur notre toit de 4x4 équipé de bancs d'observation, nous ne perdons rien du spectacle qui s'offre à nous dans la réserve que nous gagnons bientôt – c'est à dire après presque trois heures de route pour faire 65km. Notre guide parle à ses collègues dispersés dans toute la réserve, qui mesure 1 500 ha, afin de se donner mutuellement les positions des animaux. Le système mis en place fonctionne à merveille puisque nous ne tardons jamais à rencontrer sur notre route toute la faune attendue.

À peine entrés dans la savane, nous sommes salués par un couple de phacochères en pleine dégustation puis par un couple d'autruches. Le mâle noir et la femelle grise viennent tordre leur cou devant nous dans un ballet désarticulé. Non loin de là c'est une vieille girafe qui prend la pose devant nos objectifs gourmands. C'est un mâle isolé, trop faible pour rester dans le groupe, qui a été chassé par les plus jeunes. On peut savoir qu'il est vieux à sa couleur. Plus les taches sont foncées, plus le mâle est âgé. Celui-ci est donc particulièrement vieux, dans la fin de sa vie de girafe qui s'achève en général vers les vingt-huit ans. Le guide et moi-même somment proches de la fin, que cela soit dit...

Après avoir bien mitraillé la vieille girafe de la zone protégée, nous sommes à nouveau plongés dans des forêts de baobabs que j'admire de plus en plus. Je trouve vraiment cet arbre fascinant. Pas étonnant qu'il soit devenu l'emblème du pays. Le reste de la flore ici est essentiellement composé d'acacias au bois rouge dans lesquels vivent des dizaine d'espèces d'oiseaux à faire saliver les amateurs d'ornithologie. Leurs couleurs resplendissent sous un soleil qui tape de plus en plus fort. Lorsqu'ils s'envolent, il n'y a même plus de mots pour décrire la légèreté de leur allure fière.

Devant nous, le troupeau de girafes du site prend, lui aussi, son repas. Le dernier-né, un girafon de quatorze mois, se cache derrière de minuscules branchages en pensant être bien dissimulé. Sans doute la cohabitation avec les autruches lui a fait acquérir ce genre de techniques un peu stupides. Sa mère veille, de toutes façons, non loin de lui. Avec ses animaux pacifiques, pas de problèmes en perspective. Aussi, nous sautons du 4x4 pour aller marcher parmi les girafes : un grand moment pour moi.

Plus loin, je découvre des antilopes-cheval, des impalas, des élans. Tous sont difficiles à approcher et fuient devant les engins motorisés. Nous les dérangeons pendant leur sieste, la plupart du temps, ce qui ne semble pas être du goût de tout le monde. Les troupeaux se réveillent et partent en quelques séries de bonds élégants pour regagner d'autre ombrages plus tranquilles.

D'autres animaux ne sont pas aussi inquiets à notre approche. Les buffles sauvages restent ainsi bien sagement assis à l'ombre des arbres en nous regardant d'un air bovin qui n'appartient qu'à eux. Trop de poids à déplacer pour si peu de choses, semblent-ils se dire, alors peu importe le dérangement. De même, le couple de rhinocéros du parc se laisse approcher de très près, trois quatre mètres à pieds, pendant sa sieste que rien ne semble pouvoir perturber. Ces animaux ne sont pourtant pas aussi sympathiques qu'ils en ont l'air et notre guide tient à nous maintenir à distance alors que nous sommes prêts à venir le taquiner de nos objectifs toujours à l'affut.

Après avoir rencontré une nouvelle famille d'autruches avec sa dizaine de bambins accrochés à leur mère, nous allons observer un baobab millénaire. L'arbre au tronc creux a servi comme lieu d'enfouissement pour des ossements de griots, les conteurs du Sénégal. Un proverbe dit que lorsqu'un griot meure, c'est une bibliothèque qui brule. Ce sont en effet eux qui sont chargés de raconter les histoires à toutes les jeunes générations et leur mémoire est supposée être extraordinaire grande et diversifiée. Deux crânes et des os en pagaille sont disposés au centre du baobab, devenu lieu de culte et de cérémonie par la force des choses.

Pour achever notre visite qui prendra presque trois heures, nous rendons visite à de vieilles tortues géantes de terre, des crocodiles, des aigrettes, des varans et des singes qui jouent à cache-cache avec nous. Tout ce petit peuple est ici chez lui, dans la réserve de Bandia qui n'est pourtant pas très ancienne. Elle n'est pas très grande non plus en comparaison des grandes réserves du sud-est du pays. Elle est néanmoins fabuleuse de richesse et de diversité. Elle demeurera en tous cas pour moi ma première réserve africaine et cela suffit pour trôner au panthéon de ma mémoire de voyageur.

En fin de journée, nous mettons le cap sur Toubab Dialaw. Petit village de pêcheurs le long de la petite côte, Toubab Dialaw est un lieu connu pour sa richesse artistique. Mais plus encore que les constructions humaines (sculptures, maisons en coquillages...), ce sont les roches colorées qui me frappent tout au long de la plage qui mène au village voisin de Yène. Les roches sont rouges. Elles sont jaunes. Elle sont violettes. Elles sont surtout naturelles et parfaites. Ici un cœur d'une dizaine de mètres de haut, couleur de soleil, vient s'incruster dans une terre ocre. Les pieds dans l'océan atlantique, je contemple, émerveillé, ce paysage fantastique.

La nuit ne tarde pas à tomber et nous reprenons la route de la capitale. Dans le N'Diaga N'Diaye qui nous conduit à Patte d'oie, sorte de carrefour géant et multidirectionnel sur la presqu'île du Cap Vert, je fais la connaissance de Souleymane, un jeune Sénégalais qui revient tout juste de France. Il a fait ses études en Sorbonne comme moi, dans un programme d'échanges entre les deux pays. Il connait bien les Yvelines et nous évoquons certains souvenirs communs. Aujourd'hui, avec ses diplômes de finances, il travaille à Dakar pour le centre national de statistiques et donne quelques fois des cours en université. Je lui parle rapidement de projet de notre association en espérant le revoir bientôt à Yoff. C'est ainsi que les rencontres fortuites peuvent faire avancer les choses dans ce pays. Inch'allah.

Incertitudes

 

Le Sénégal, pays de la Téranga, est aussi le pays de l'incertitude. Pas un programme bien établi ne saura être respecté. Les choses se déroulent plus lentement que lentement. Même en sachant que tout prend plus de temps ici, on a toujours vite fait de prévoir plus de choses à accomplir que ce qu'on pourra réellement réaliser.

C'est aussi le pays de l'incertitude parce qu'un « événement malheureux » vient frapper à la porte plusieurs fois par jour. C'était le cas pour la cérémonie d'ouverture qui ne semblait jamais vouloir se tenir. C'est le cas maintenant pour un concert de Pepe & Cheikh au Petaw à N'Gor. Arrivé à la porte du bar où doit se dérouler la prestation, pas une lumière à l'intérieur. Pas un chat non plus dans le quartier. Un serveur arrive :

    • Bonjour ! Entrez !

    • Pepe & Cheikh jouent bien ce soir ?

    • Hélas non. Un événement malheureux est arrivé, le concert est annulé. Mais on a de la salsa à la place.

L'évènement malheureux n'est pas toujours un décès, fort heureusement. C'est néanmoins parfois le cas. Il me semble que les gens tombent très fréquemment autour de nous en ce moment, sensation que je n'ai jamais connu ailleurs. Tel jour, un membre de la confrérie est mort. Tel autre, c'est une femme morte en couche avec son enfant et ainsi de suite.

D'autres évènements attirent mon attention au plus haut point. Deux étudiantes de notre formation se sont mariées. Jusque là, rien d'anormal. Mais voilà, la première nous appelle :

    • Excusez-moi, je ne pourrai pas être là jeudi, commence-t-elle, mon père organise mon mariage et je crois que ce serait bien que je m'y rende.

Sic ! On hésite entre se tordre de rire ou être parfaitement choqués par la situation et, plus encore, par le ton naturel qu'elle a pris pour nous annoncer la nouvelle.

Aujourd'hui, c'est une autre étudiante qui nous appelle à l'appartement :

    • Bonjour, je vous appelle pour vous dire que demain, je me marie.

    • D'accord. Tu aurais pu nous prévenir un peu avant non ?

    • Je vous avoue que je suis un peu surprise moi-même...

Des conversations comme ça, j'en entends plusieurs par jour. Le poids de la tradition, les us et coutumes, les rituels différents pour chaque confrérie nous font vivre au rythme des surprises quotidiennes. Qu'on ne s'y trompe pas, le Sénégal est un pays extrêmement moderne pour le continent africain, mais on ne transige pas avec certaines règles, surtout ici, en terres lébous.


Une autre grande tradition ici, c'est le sport. Tout le monde court sur la plage, fait des étirements, de la culture physique. Tous les garçons, et parfois les filles, portent des maillots de football. C'est une seconde religion au Sénégal. Pourtant, devant les succès variés de l'équipe nationale ces derniers temps, les Sénégalais affichent plutôt des couleurs européennes. Championnats italiens, anglais, espagnol, français, ils connaissent tout et suivent tous les matchs.

Cette semaine, j'ai assisté aux matchs de coupe d'Europe chez plusieurs personnes de Yoff. Les familles se rassemblent autour de l'écran. On fait le thé mais on parle peu. Tout le monde est rivé sur l'écran qui rassemble et sépare à la fois. Les Sénégalais ne s'emballent pas beaucoup devant les matchs, sans doute parce qu'ils ne sont pas vraiment concernés par ces rencontres, j'imagine que l'ambiance doit être toute autre pour un match local.

Ce qui déchaîne vraiment les passions ici, ce sont plutôt les combats de lutte. L'autre sport du Sénégal. Le sport national et internationalement méconnu. Pas une boutique qui ne retransmette les combats durant le week-end. Les gens se massent jusque dans la rue pour apercevoir des fragments d'images au loin sur une télévision qui grésille.

Les lutteurs sénégalais sont impressionnants. À deux pas du sumotori en nettement moins gras, ils font état de leur agilité, leur force et aussi de ruse. Ils peuvent passer cinq minutes à se regarder avant de se jeter l'un sur l'autre, achevant le combat en une seconde. Le premier qui tombe a perdu, pas d'autre règle pour ce sport. Il existe bien une variante où les frappes peuvent accompagner les prises mais je n'y ai pas encore assisté. Il n'empêche que les lutteurs sont de véritables stars au Sénégal. Les chauffeurs de bus et de taxis n'hésitent d'ailleurs pas à afficher leurs photos dans les véhicules, au même titre que leurs guides spirituels.

Avec Bou, je décide alors de m'initier à ce sport traditionnel. Direction la plage, où tout le monde s'entraîne. Force est de constater que c'est très physique. On a l'impression de ne pas bouger, mais c'est absolument épuisant. Chaque prise exerce une pression qui se répercute sur tous les muscles du corps. Nous avons presque la même force avec Bou, plus petit que moi mais bien plus technique également, aussi faisons-nous un score de parité à la fin de l'entraînement.

Pendant ces quelques brèves joutes, des étudiants de la formation, eux aussi sportifs, nous ont surpris luttant ainsi aux yeux de tous. Mort de rire, Mame me décolle du sol par les pieds alors que j'étais en prise avec Bou. Si ces petits détails ont tendance à casser le rapport professeur-élèves, il établit des liens d'autant plus forts, bien plus intéressants pour notre formation et l'esprit de partage qu'on souhaite insuffler. Je suis bien ici pour vivre mon expérience à fond. À le sénégalaise. Les étudiants s'en rendent compte ou le feront au fur et à mesure.


Pour me remettre d'aplomb, rien de tel qu'un nouveau concert. Cette fois, il ne sera pas annulé. C'est d'autant plus appréciable que c'est un artiste que j'adore et que j'ai découvert en France voici quelques années avec son dernier album « Lamp Fall ». Cheikh Lô est un musicien sénégalais aux longues dreadlocks de Bai Fall, une religion ici.

Comme tous les concerts de Dakar, celui-ci commence avec trois bonnes heures de retard. Notre grande tablée mêlée de Toubabs – nous sommes rejoints par des anciens de l'association et le frère de Roxane – et de Sénégalais ne passe pas inaperçu. L'attente est toutefois bien récompensée puisque l'artiste enchaîne deux heures de live, sans interruption, à passer entre les tables ou danser au milieu de ses fans qui le rejoignent sur scène pour reprendre en cœur ses plus grands succès. Les chansons sont en wolof et la musique très percutante oblige le corps à se trémousser malgré la fatigue accumulée tout au long de la journée. C'est aussi ça la vie au rythme du Sénégal.

mardi 3 mars 2009

les cours en douceur

 

Mercredi, c'est le jour du cours d'expression orale pour nos étudiants de la formation À Suivre. À l'ordre du jour, des exposés qui touchent des sujets variés et profondément sujets à débats au cœur de la société traditionnelle sénégalaise.

Khoudia et Ibrahima – nous en avons trois dans la promotion 2009 – nous évoquent les Arts au Sénégal. L'accent est fortement mis sur la danse et le théâtre. Historique, mise en perspective, regard critique, ils se débrouillent pas trop mal pour des jeunes qui n'ont pas l'habitude de prendre la parole en public. J'aurais souhaité en savoir davantage sur la littérature, la peinture, la sculpture ou même la musique : ce n'est que partie remise.

Maguette et Chekh Tidiene abordent ensuite un exposé bien plus enclin à créer la polémique dans le groupe : les confréries. Les deux étudiants nous proposent un panorama des quatre grandes confréries ici : les Layènes, les Khadres, les Mourides et les Tidjanes qui couvrent la majorité des Sénégalais appartenant à une confrérie. Je ne chercherai pas à expliquer en détails les apports ou les origines de chacune d'entre elles pour la simple et bonne raison que personne n'est d'accord dans la salle, de même que personne n'est d'accord sur internet tant les divergences sont grandes d'un site à l'autre. Chacun voit sa confrérie comme la plus ancienne, la plus directement liée au prophète, à tel point que ça e devient drôle. Il faut néanmoins mettre un terme à l'agitation de la classe prête à s'étriper pour cause de négationnisme aggravé.

Marème s'attaque bientôt à un gros morceau : l'île de Gorée. J'en ai déjà beaucoup lu dans les livres mais l'avis d'une jeune Sénégalaise m'intéresse plus encore. C'est cette île qu'on appelle « île aux esclaves » et qui était au cœur de la traite négrière du temps des colonies. Ça m'intéresse de savoir ce qu'elle pense des blancs qui ont fait le commerce de noirs mais plus encore ce qu'il lui semble des noirs qui en faisait autant avec ses semblables. Au final, l'étudiante se limite à un survol de généralités, ni approfondies, ni maîtrisés, et je reste sur ma faim.

Diariatou et Thiane vont ensuite aborder l'agriculture. Avec elles, on touche à l'environnement. Les deux Sénégalaises semblent bien au fait des lacunes de leur pays dans ce domaine. La classe entière souhaiterait que le gouvernement investisse plus dans l'irrigation, la collecte de l'eau et d'autres systèmes avant de se raviser, presque abattus, en disant que le pays n'a pas l'argent de tout payer ou que ce n'est pas à lui de tout faire. Le constat est lucide mais parfois défaitiste et relève parfois d'une manière de penser collective ici. De même qu'en politique, les jeunes voudraient changer les choses, mais par faute de leaders d'opinion, ils se résignent rapidement.

Le dernier exposé, celui de Khokhaya n'est qu'une vaste fumisterie. Le portrait d'un chanteur sud-africain est tissé d'erreurs du début à la fin. Seule la tchatche de l'étudiante nous ferait presque oublier qu'elle n'a juste pas travaillé.

Peu à peu j'apprends à les connaître tous. Ce n'est pas évident pour moi qui arrive un mois après le début de la session. Il n'est pas juste question de savoir comment ils s'appellent mais plutôt d'apprendre à les aborder pour optimiser une dynamique de groupe qu'on crée au départ d'une formation. Quand je suis arrivé, ils avaient déjà leur rythme bien installé. Pas forcément toujours celui que j'aurais aimé instauré avec eux si j'avais été là dès le départ mais ainsi en va-t-il de ma mission yoffoise.


Si les cours ont bien débuté depuis plusieurs semaines, ce n'est qu'aujourd'hui qu'a lieu la cérémonie d'ouverture avec les représentants religieux de la localité, ceux de l'APECSY (association pour la promotion économique, culturelle et sociale de la ville de Yoff) et ceux du PDEF (programme de développement de l'enfant et de la famille). La télévision est aussi de la partie et nous voilà en train de poser dans nos beaux habits du dimanche pour donner une image bon enfant de notre coopération franco-sénégalaise.

Cette cérémonie aurait dû précéder l'ensemble de la formation mais il n'en va pas toujours comme on le veut ici au Sénégal. Le représentant de l'Apecsy, par exemple, en sa qualité de vice-président de l'association, vient d'être prévenu et débarque quant à lui en jogging du dimanche. Si la cérémonie est brève, elle est ponctuée de prière et de demandes de bienveillance de la part de Dieu pour qu'il nous accompagne durant notre formation. Les jeunes sont aussi présents dans le fond de la salle et se font sermonner pour qu'ils suivent tous les cours, soient ponctuels assidus. Comme nous avons plus d'un tour dans notre sac, nous en profitons pour leur faire signer une lettre d'engagement qui met leur honneur en jeu auprès de nous. Libasse, sans doute le meilleur élément de la promotion, prend la parole au nom du groupe et assure vouloir remplacer cet engagement personnel par un engagement oral collectif. Si le geste est beau et la coutume respectée pour ici, nous demeurons une association française et insistons pour ajouter leur engagement au nôtre. Deux suretés valent mieux qu'une.

Le pot de clôture est annoncé. La secrétaire arrive avec un plateau remplis de cannettes de coca, fanta et sprite... nous sommes les bienvenus à l'heure de la mondialisation made in America. Une photo de promotion pour symboliser l'ouverture de la session 2009 et nous voilà lancés dans notre mission avec l'aval de toutes les autorités possibles et imaginables. Pourvu que cela dure...