Cette fois, c'est décidé, je pars tracer ma route en solitaire, loin de l'appartement et le confort de Yoff. Loin aussi des autres, que j'aime beaucoup, là n'est pas la question, mais surtout plus proche de moi. De tous mes voyages, je n'ai pas connu meilleurs moyens de rencontrer les populations locales qu'en allant les voir chez elles, seul.
Je m'embarque donc pour une bonne matinée de galère dans les transports en communs sénégalais, toujours aussi longs et pollués de musiques assourdissantes, direction Joal, la ville de naissance du grand Lépolod Sédar Senghor, premier président de la République du Sénégal et ancien académicien. Joal marque aussi le sud de la petite côte. De là, je compte remonter ce petit bout de terre à pieds, pourvus que ceux-ci ne me fassent pas faux-bond en route.
A peine arrivé à la gare routière, un expatrié m'aperçoit de son œil affuté et me propose de venir manger avec lui. J'accepte. Il me demande si je veux venir visiter le « Calypso », son auberge à quelques mètres. Pas de problème, je le suis. À l'intérieur, il me montre une chambre, fort bien soignée par ailleurs et me dit que c'est 6.000 CFA la nuit. Bien sûr, ce n'est pas ma vision du voyage et je lui en fais part. Je lui indique aussi que je compte remonter la petit côte à pieds et si possible toujours être logé chez l'habitant. Il me regarde avec de gros yeux de Sénégalais étonné, une bonne dizaine d'années ici doit pouvoir suffire pour y parvenir avec brio, et me dit qu'il ne le ferait pas. Voilà qui ne m'étonne qu'à moitié à vrai dire. Qui, du reste, serait assez fou pour faire un tel chemin à pieds, j'ai prévu trois bons jours de marche, quand les transports en communs sont si peu chers. Sauf que, justement, ce n'est pas une question d'argent, et ça, personne ne semble le comprendre. Pas plus ici qu'ailleurs. L'aubergiste me dit alors que c'est « tant pis ». Tant pis surtout pour le déjeuner qui ne reposait que sur la parole d'un businessman français expatrié pour faire des affaires au soleil.
C'est ainsi que je reprend ma route. À pieds. La gare routière ne m'a déposé qu'à la bordure de la ville de Joal. Il me reste six kilomètres à parcourir pour y être véritablement. Nous sommes en mi-journée et la chaleur est intenable. Il s'est remis à faire chaud depuis ces derniers jours, d'autant plus qu'ici nous sommes plus au sud. Nous frôlons les quarante degrés cet après-midi ; il fera encore trente-deux degrés à dix heures ce soir, non loin de là. Je commence donc ma route à l'envers. Pas vraiment comme prévu. J'hésite à prendre un taxi pour partir du point le plus bas de la côte et ne faire que remonter la petit côte, pour une ou deux heures de marche aussi. Mais je n'en ferai rien. Je suis motivé comme jamais. Ou plutôt comme d'habitude.
Joal est un petit village sénégalais où il semble faire bon vivre. Un immense port avec un débarcadère couvert brasse des centaines de pêcheurs et de crieurs à la pelle. Les relents de poissons frais et moins frais ne me découragent pas de le traverser dans toute sa longueur. Le voyage, c'est aussi les odeurs et je m'en prends plein les narines. Je me prends aussi beaucoup de sable. Comme dans tout le pays, certes, mais quand on avance, vent de face, ce n'est plus la même histoire. Je me rassure en me disant que je finirai bien par aller dans l'autre sens dans quelques heures, il me suffit donc pour le moment de plisser les yeux et de marcher tout droit.
Tout au bout de Joal, se trouve les passerelles de bois qui relie le village à son jumeau Fadiouth. Fadiouth est une petite île recouverte de coquillages blancs qui explosent sous les pieds. Catholique à 90% comme quelques endroits sur la petit côte, Fadiouth vit autour de la mission, des saintes chapelles qui s'appellent Notre-Dame de Lourdes ou autre Saint François-Xavier, et du cimetière mixte : musulman et chrétien. Le village est un bel exemple de la tolérance que l'on peut trouver au Sénégal, tellement loin des tombes profanées de chez nous. J'en profite pour me recueillir dans la grande église blanche surmontée d'un grand cœur rouge bien kitch. Je pense alors aux miens dans un moment de paix et de bien-être intérieur absolu.
Un peu plus tard, après avoir quitté le cimetière, je suis interpellé par Williams, ça ne s'invente pas, qui me demande ce que je viens faire ici, moi le confrère catholique venu de loin. Je lui explique que je suis sur le point de marcher, en solitaire, pour penser. Très rapidement, ma retraite devient retraite spirituelle. Il ne fait aucun doute à ses yeux que j'accomplis une sorte de pèlerinage au nom de Dieu. Il y a sans doute un peu de vrai dans ces propos même si je ne marche officiellement pour aucun Dieu. J'ai certes reçu une éducation catholique depuis mon baptême et demeure très attaché à certaines valeurs catholique, mais je ne ne suis pas le pratiquant que Benoît XVI pourrait espérer croiser en chemin. Il n'empêche que l'idée de Williams, avec un « s » attention, me plaît particulièrement. Je ne fais rien de mystique. Je ne suis pas un illuminé et ne marche pour aucun gourou. Je ne fais que marcher, seul, pour penser. Aussi, la retraite spirituelle me convient parfaitement. Veulent y voir ce que voudront les uns et les autres, ce n'est pas essentiel à mes yeux. Je voyage pour moi-même. Fin de l'histoire.
Williams est impressionné par mon ambition et appelle sa mère aussitôt.
Je ne manque jamais une telle occasion. On ne refuse pas l'hospitalité, comme on ne refuse pas une main tendue. Trop grands seraient les regrets par la suite. Je réalise alors la chance que j'ai, une fois encore, de tomber par hasard sur quelqu'un de si généreux qui donne sans compter, qui donne tout simplement car c'est plus important que de recevoir. Voilà même pas une demi-journée que j'ai entamé mon périple et je suis déjà convié dans l'intimité d'une famille du village. Quel bonheur !
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Avant d'aller à la maison, je dois rapporter la pirogue au port. Tu as le droit de prendre le bateau ?
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Il est où ton port ?
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De l'autre côté de l'île.
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Alors non. Où alors on devra refaire le chemin à pieds pour ne pas tricher dans ma démarche.
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Ok.
Nous voilà donc partis pour un tour de pirogue à deux tout autour de l'île aux coquillages, comme disent les habitants. Williams m'invite à essayer de mener l'embarcation. Je m'y essaye sans trop y croire. Après nous avoir bien enlisés sur les bancs de sable, je lui rends son bâton. Il est bien meilleur que moi. Chacun son boulot. Williams a vingt-deux ans. Il continue les études. En terminale cette année, il va tenter de réussir le bac cette fois. Ici c'est un véritable diplôme qui a une vraie valeur sélective. Très difficile à obtenir, il fait encore référence. Williams parle Wolof, Français, un peu d'Anglais et, plus surprenant, se défend pas mal en Espagnol. Il est motivé et s'il doit conduire les barques à touristes ce n'est qu'en dehors de ses cours pour aider financièrement la famille comme tous les fils en âge de travailler au Sénégal. Lui voulait d'abord être footballeur mais un accident l'a vite fait changer d'idée. Avant cela, il voulait même être prêtre mais le destin a tranché pour lui. Son frère, en revanche, est moine. En France. Il faut absolument que j'en sache plus. Je dois rencontrer sa mère.
Arrivé dans la pénombre de la maison familiale, parasitée par les télé novelas brésiliennes habituelles, je fais la connaissance de Thérèse, de son nom de baptême. Un grand portrait de Sainte Thérèse trône derrière moi et apporte un soutien évident à ces paroles. Des photos du fils aîné trône un peu partout dans la pièce commune. Il est la réussite de la famille sans nul doute. Il vit en ce moment en République Tchèque le temps d'une mission de quelques mois mais est encore rattaché à son monastère en France. « Un grand voyageur du seigneur ».
Thérèse me parle un peu d'elle et c'est très émouvant de la voir se confier à un étranger, appartient-il à la même communauté religieuse ou pas. Mais apparemment dans cette maison, tout est justement lié à ça. C'est avec la charité chrétienne que les portes m'ont été ouvertes, je dois bien le reconnaître. Esprit de solidarité dans ce monde quasi exclusivement musulman, pourtant lui aussi très hospitalier. Thérèse anime aussi le catéchisme du village tous les samedis matins. Je comprends mieux sa conviction et ses « amen » dispensés à chacune de ses phrases. Je suis en face de la ferveur chrétienne à l'africaine. C'est saisissant.
Après les bénédicités que je m'efforce d'accomplir au nom de la tablée, on m'offre un Thiébou Djène, le plat national, à base de riz et de poisson. Rien de surprenant, j'en mange ici deux à trois fois par semaine. Les autres plats ne sont que variantes de ce même plat de toutes façons. Pas de problème, je l'estime toujours aussi bon et n'en suis pas encore trop blasé. Pendant le repas on parle des différences de foi entre l'Afrique et l'Europe. Thérèse est déjà plus ou moins au courant de la nonchalance des jeunes Français face à la pratique active de leur religion à travers les propos de son aîné, mais elle plus accablée encore par mon témoignage. Je ne veux pas la décourager pour autant et parle de l'enthousiasme de certains de mes proches. Elle semble réconfortée.
J'en serai presque convaincu moi-même, l'espace d'un instant, tant l'endroit est propice à la conversion. Mais ma route est longue et je décline la proposition que m'est faite de rester pour faire la sieste. Thérèse est impressionnée par ma foi, que ce soit en Dieu ou autre chose, et m'encense de mille compliments. Je ne peux écouter ses paroles sans lui avouer le profond respect que j'ai pour une grande dame comme elle qui, courageuse, a su vouer sa vie entière à sa foi. Elle ne veut rien entendre et estime que le moindre pas que j'effectuerai dans ma quête sera une plus grande action que tout ce qu'elle n'aura jamais réaliser. Elle m'engage bientôt à joindre ses prières aux siennes sur ma route vers le nord. Cette route, je dois la faire au nom de tout ceux qui ne peuvent pas se déplacer. Même seul, on ne l'est jamais véritablement.
Williams m'accompagnera d'ailleurs quelques kilomètres jusqu'au centre de Joal pour montrer sa foi à sa mère qui l'accable quelque peu de ne pas se montrer aussi pratiquant que son grand frère ; comment le pourrait-il ? Puis je continuerai seul, avant la prochaine rencontre, le sac alourdi d'une fiole d'eau bénite en provenance de Lourdes, ultime présent de Thérèse au nom de ma route, aussi minime soit-elle.
Une heure plus tard, me voilà revenu à mon point de départ : le port couvert de Joal. J'ai déjà parcouru une douzaine de kilomètres sans avoir réellement avancé sur mon tracé. Sur l'aspect intérieur de ma retraite, en revanche, c'est une autre histoire.
Sur ma route, longeant la côte, je traverse des forêts de baobabs, solitaires et solidaires dans leur solitude tranquille et reculée. Des touffes jaunes de savanes disséminées au gré du vent viennent côtoyer mes foulées loin des villages. J'avance et je pense au rythme de mes pas inscrits le temps d'une vague sur le sable inoffensif. Je pense à Johanna, comme toujours. Je pense à ma famille et à mes proches. Je me demande ce qu'ils font tous à cet instant suspendu de toute temporalité pour moi.
Et puis je marche. Je m'arrête bien sous un abri de fortune le temps d'une mini-sieste à l'ombre car le soleil cogne de plus en plus, mais je reprends inlassablement ma route vers l'avant, laissant chèvres et buffles derrière moi, presque indifférent. Je marche jusqu'une langue de sable parfaite, séparant l'océan en deux devant moi sur plusieurs centaines de mètres.
La lagune est magnifique mais je suis obligé de traverser un hôtel à touristes si je ne veux pas continuer à la nage ou m'obliger à un détour inutile. Sans me presser pour autant, je ne m'attarde pas devant les gros ventres écrevisses qui bordent la piscine sur des transats d'aventuriers. Un gardien me court après pour me faire quitter les lieux mais il a tôt fait d'abandonner la partie voyant que sa course allait moins vite que ma marche. N'oublions pas que nous sommes au Sénégal, même la course est lente ici. Il n'en demeure pas moins que ces vacanciers ont eu le nez fin. Ce petit paradis est l'endroit idéal pour venir se poser le cul sur un transat autour d'une piscine, entre deux parties de tennis ou de sorties en quads. Une aberration pour moi...
Un peu plus loin, je suis de nouveau interpellé mais je ne fais pas mine de ne rien entendre. Un Sénégalais, puis trois, me rejoignent pour marcher un bout de chemin avec moi. Ils rentrent au village de Mbdiène, le prochain sur la côte. Ils me font l'historique du village, de ses traditions, de son ouverture religieuse. Ils me le vendent si bien que je suis prêt à m'arrêter ici pour la nuit. Il n'en faudra pas beaucoup pour que l'un d'eux me propose son toit, sans rien attendre en retour, naturellement. Il le fait aussi car les autres ne peuvent pas m'accueillir faute de place chez eux alors que chez lui la maison est grande et qu'il dispose de sa propre chambre. Le reste n'est que pures formalités. Je parle un peu de moi, de mon voyage qui les impressionne? Je parle aussi del'accueil qui m'a été réservé à Fadiouth et, comble de surprise, ils connaissent Wiliams. Le monde est bien petit.
En attendant le soir, je découvre l'arbre à palabres où se réunissent les gens du village pour bavarder quand il fait chaud. Sur la place centrale, face à l'église, se dévisagent un baobab et un fromager, les deux emblèmes de Mbodiène-village. Mbodiène est encore une fois un village à majorité catholique même si les Protestants et les Musulmans sont parfaitement bien intégrés, tout comme les nomades Peuls qui habitent de l'autre côté d'un minuscule fleuve. Laurent, chez qui je dormirai ce soir, Pascal, et Alliou, ce dernier est musulman ce qui explique le nom, m'invitent bientôt à serrer des mains et à prendre un café touba sur des bancs publics.
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Il n'y a pas beaucoup d'activités ici, reconnaît Laurent. Ça doit te changer de Dakar.
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C'est pour ça que je suis ici.
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Oui mais c'est très calme tu vas voir.
Il a raison mais c'est bien la raison de ma présence. Je désirais me rendre dans ces endroits isolés où l'on compte plus d'animaux de basse-cour que d'Hommes. Quant à Dakar la bruyante ? Elle n'est pas tout à fait à mon goût. Aussi suis-je bien heureux de les avoir tous trois rencontrés sur mon chemin.
En allant chez Laurent, j'en apprends un peu plus sur lui et la motivation qui la conduite à m'offrir l'hospitalité.
Me voilà cette fois au cœur d'un pèlerinage. Plus rien d'étonnant. J'accepte volontiers la remarque puisque apparemment je semble frapper de portes catholiques en portes catholiques au fur et à mesure de ma marche. Les coïncidences n'en sont pas pour tous ceux qui me reçoivent chaleureusement.
Soudain, tout bascule. Je suis flanqué au sol par une force inconnue. Peut-être le revers de la médaille. Trop de chance ne saurait être impunie.
Je m'assieds tant bien que mal contre un arbre, le temps de retrouver mes esprits. Après avoir parcourus les quelques derniers mètres qui nous séparaient de sa maison familiale, Laurent m'indique sa chambre où je vais m'effondrer, accablé de faiblesse et rongé par une fièvre puissante à me faire trembler tous les membres. Des goutes de sueur viennent perler sur mon front et j'ai extrêmement froid alors qu'il fait chaud à suffoquer aujourd'hui.
Je ne remercierai jamais assez la famille de Laurent pour son hospitalité aveugle. Ils m'ont offert la couche sans savoir qui était cet étranger malade qu'ils accueillait. Juste par générosité.
Je parviens à me relever après un court somme inquiétant, la fièvre amoindrie mais le corps toujours aussi faible. Je parle un peu avec l'oncle de Laurent, ancien caporal de l'armée sénégalaise, à présent fonctionnaire dans la compagnie des eaux, qui fait vivre toute la famille avec sa paie. Il me tient le même discours que Thérèse à Fadiouth. Pour lui, ce n'est pas la malchance qu'il faut voir mais tout le contraire. J'aurais tout aussi bien pu tomber à cent mètres du village, bien loin de leur maison et de leur soutien. Il a entièrement raison. Comment ai-je pu en douter un seul instant ? Ma bonne étoile toujours...
Je suis navré d'écourter notre discussion mais je suis contraint de lui demander la permission de retourner m'allonger pour récupérer. Il ne s'y oppose pas, bien au contraire, et multiplie les soins pour moi.
Après quelques heures, je reprends mes esprits. Toujours très affaibli, je marche au ralenti, j'ai des vertiges et toujours aussi froid, je conviens avec Laurent de faire le chemin jusqu'au centre du village où une veillée est organisée pour les Catholiques jusqu'à l'aube. La situation est indescriptible et demeure très floue pour moi. À ce moment je pense toujours être rétabli pour le lendemain et reprendre ma route comme prévue.
Assis sur un tronc, j'attends un appel de Johanna pour un moment de réconfort et de grande joie intérieure. Ensuite, plus rien. Je ne me vois pas retourner à la maison. Je ne me vois pas m'être couché. J'entends pourtant encore Laurent me dire qu'il va retourner à la célébration et prier pour moi.
La nuit est particulièrement douloureuse. Je suis réveillé plusieurs fois pour aller me vider littéralement aux toilettes du jardin. Tellement loin de la chambre. Parfois trop que c'en est gênant devant mon incontinence affligeante. Me voilà, à quatre heures du matin, à laver mon pantalon dans une bassine inconnues, à deux doigts de l'inconscience. Outre le fait de vomir et d'être pris de diarrhées continuelles, je suis attaqué par les moustiques. J'installe ma moustiquaire dans un état léthargique, réveillant au passage Laurent, revenu de la veillée entre temps.
Cette nuit restera gravée en moi comme une des plus pénibles de toute ma vie. Non seulement pour ma faiblesse mais plus encore pour le souci que je pourrais causer à cette famille par ma présence, eux qui m'ont ouvert leur bras si facilement.
Au petit matin, la fièvre est retombée. Malheureusement, je suis toujours extrêmement faible et il n'est pas question de continuer ma marche vers le nord. Tout le monde m'engage à rester ici deux ou trois jours s'il le faut, le temps que je me remette. Il n'en est pas question. Je ne leur imposerais pas l'ombre de celui que je devrais être en cette occasion. Je leur explique que je serai mieux dans mon appartement à Yoff, pour me soigner et prendre du repos. Ils comprennent et me donnent rendez-vous pour Pâques en espérant que j'irai bien vite mieux. Je les remercie chaleureusement. Je ne vois pas ce que je pourrait faire d'autre. Puis je me souviens que je transporte de l'eau bénite dans mon sac. Je propose alors d'en asperger leur maison en signe de ma reconnaissance. Ce geste est pour eux un immense présent et ils en remercie le Seigneur à n'en plus finir.
Laurent me raccompagne jusqu'à la route et me mets dans le premier bus en partance. Lui aussi m'accompagne de prières.
Le parcours est chaotique et tellement long. Entre deux bus, je trouve le temps, répondant surtout à un besoin incontrôlable, de visiter les toilettes de la gare routière de Mbour. Grand moment s'il en est. Après cela, c'est encore et toujours de la route. Je m'efforce de ne penser à rien et surtout pas à mon ventre qui crie sa douleur, rappelant par moments la fièvre à mon bon souvenir.
En milieu d'après-midi, je suis de retour à l'appartement dans un état pitoyable. Je m'effondre sur mon lit et ne réponds plus de rien.
Il m'a fallu trois jours de repos pour me rétablir parfaitement. Ces heures ont paru interminables et particulièrement improductives mais il ne saurait être de meilleur remède que l'inactivité. « Turista » cinglante doublée d'un bonne dose d'insolation, je me suis fait rappeler à l'ordre plutôt vivement. Ni inconscient, ni suicidaire, j'ai préféré privilégier ma santé avant tout. Il en sera toujours ainsi.
Si ma déception est grande aujourd'hui, c'est de n'avoir pas pu achever ce que j'avais commencé de manière si formidable. Je suis déçu de n'avoir pas pu porter les prières de ces Sénégalais rencontrés sur ma route jusque la basilique de Popenguine. J'ai surtout peur de les avoir déçus, eux qui croyaient en moi. Je porte en horreur l'abandon et j'ai pourtant renoncé malgré moi.
Je promets à toutes ces personnes, qui ont partagé avec moi un peu de nourriture, un toit et beaucoup de foi, de me rendre à Popenguine et d'accomplir ma retraite jusqu'au bout. Pour eux.