samedi 18 avril 2009

Mission Saint-Jean

 

Épuisé physiquement comme mentalement, livré, vidé, je craque et fond en larmes involontaires. La pression se relâche et couvre mes joues de sentiments mêlés. C'est de joie que je pleure, de fierté et de revanche aussi. Et d'amour pour mes proches qui me manquent.

En sortant de la basilique, un aspirant de la mission Saint-Jean vient à moi.

    • Pourquoi pleures-tu, me demande-t-il ? Il faut oublier ta peine, tu es arrivé dans les bras du Seigneur.

    • Je n'ai pas de peine. C'est de bonheur que je pleure.

    • Tu sembles pourtant bien fatigué. Tu as beaucoup marché ?

    • Un peu.

Poponguine est réputé dans toute l'Afrique de l'Ouest pour son grand pèlerinage annuel, au moment de la Pentecôte. La marche que j'ai entreprise est en fait assez courante chez les croyants du Sénégal. Les frères de la mission ne s'étonnent pas une seconde de ce que je viens d'accomplir. Il existe même une petite salle réservée à l'accueil des pèlerins en face de la basilique.

    • Tu veux passer un peu de temps ici pour te reposer ?

La proposition ne se refuse pas. Jean-Benoît est un homme généreux et soucieux du bien-être d'autrui. Il ne cherche pas à savoir tout de moi au premier abord. Il n'éprouve pas le besoin de me questionner et je n'ai pas à me justifier. Il me laisse le temps de me confier, à lui ou à un frère, si le besoin s'en fait ressentir. De même, il ne me demande pas si je suis Catholique ou non ; la porte de la mission m'est ouverte naturellement.

    • Pierre-François va donner une messe à Yène, me confie Jean-Benoît, il est Français aussi. Tu veux y aller avec lui ? Il part dans cinq minutes.

J'ai le choix entre assister aux vêpres ici ou partir dans un village voisin pour une messe donnée chez des particuliers. J'opte pour la seconde et retrouve les joies de la voiture sur des pistes en terre, poussiéreuses et bosselées.

Le village de Yène n'est pas forcément le paradis pour les Chrétiens des environs. Si la tolérance semble régner entre les religions, ce n'est souvent que de façade, du moins en ce qui concerne les autorités. Pas question pour un maire musulman d'accorder la construction d'une église sur sa localité. Les fidèles se rassemblent ainsi chez eux, en toute discrétion. On monte un autel de fortune dans un salon. Les bancs de messe sont remplacés par des canapés rétro. On couvre le poste de télévision d'une broderie blanche pour le faire disparaître le temps d'une cérémonie qui n'est pas sans rappeler ce que vivaient les premiers Chrétiens, obligés de pratiquer leur culte dans des grottes pour ne pas se faire arrêter.

Le prêche de Pierre-François est intéressant, il évoque la soif que l'on a de rencontrer le Seigneur. Or, précise-t-il, il serait plus judicieux de chercher à le suivre plutôt qu'à le voir. Il propose ensuite une parabole qui me touche directement. Il prend le cas d'un marcheur qui ne parvient plus à avancer car son sac est trop lourd. Il est alors tiraillé entre plusieurs alternatives mais se résout à abandonner son sac et ses biens matériels. Le plus dur n'est pas de se séparer de son sac : c'est de ne pas avoir peur d'avancer.


De retour à la mission Saint-Jean, Jean-Benoît m'indique une chambre libre où je peux passer la nuit. En fait, toutes les nuits que je veux puisque je peux rester aussi longtemps que durera ma retraite, le temps de me ressourcer. Des lits superposés. Une table. Des étagères. Un lavabo. Je ne suis plus habitué à un tel confort, comme quoi tout est relatif. Un monastère serait un hôtel de luxe pour certains.

La cloche sonne, c'est l'heure du dîner. Les bénédicités effectuées, je m'extasie devant les mets proposés. Entrée, plat et dessert, pour la première fois depuis que je suis au Sénégal. Une salade de carottes râpées a pour moi une saveur particulière. C'est la nostalgie de la cuisine française, toute simple, pas forcément la grande gastronomie, qui se fait sentir. Des images de marché à Versailles m'assaillent et c'est encore une fois dans un moment de grand bonheur que je suis frappé d'un coup de blues. Un gratin de pommes-de-terre, haricots et un fromage blanc, coulis de fruits rouges finiront de m'achever. Le plaisir est si facilement atteint qu'il en est parfois déconcertant.

Après une énième leçon d'humilité livrée par les frères, les aspirants, les stagiaires et les bénévoles de la mission, je me dis que je suis encore très loin d'avoir trouvé ma véritable vocation. Je suis tellement loin du don de soi auquel sont parvenus ces hommes et ces femmes qui savent pourquoi ils sont là. Ils ont trouvé dans la foi cette étincelle qui fait d'eux des êtres accomplis. Pour ma part, j'ai beau me réaliser à travers le voyage, il me manque toujours la certitude de l'essentiel. Nomade, je poursuivrai ma route tant que mon initiation ne sera pas achevée, quand bien-même celle-ci n'aurait pas de fin.


Avant d'aller me coucher, je me rends à la chapelle pour assister aux vigiles. Le lieu, propice au recueillement, est éclairé de quelques bougies. Cela lui confère une atmosphère de chaude sérénité, perdue dans la simplicité du décor. Seuls quelques moustiques parviennent à troubler cet instant de méditation profonde. J'en profite néanmoins pour adresser des prières supplémentaires pour mes proches. Et je remercie. Encore et toujours.


Le lendemain, le soleil n'est pas levé que je suis de retour dans la petite chapelle en bois. Des chants accompagnent bientôt l'oraison, puis les laudes. Je suis à présent totalement apaisé. Je ne me force pas à venir prier, je le fais naturellement. Ce n'est pas la première fois que j'ai cette impression d'être cent fois plus pratiquant en dehors de mes frontières. Je me souviens avoir passé beaucoup de temps dans une église de Savannakhet au Laos pour me ressourcer, me laisser le temps de penser aux miens. C'est finalement assez logique que de ressentir ce besoin profond d'envoyer des prières à ceux qu'on aime quand on est seul, loin de tout. Une église, ou tout autre lieu sacré, restera pour moi un lien évident avec ma terre natale, pourvu que j'y trouve la quiétude nécessaire à ma démarche.


La cloche sonne une dernière fois pour moi. Celle-ci indique la grande messe du dimanche matin. Ayant assisté aux répétitions de la veille, je connais le message essentiel et m'y retrouve. Pourtant, je ne m'attends pas à ce spectacle. Les chants sont en français, mais aussi en latin et en wolof. La chorale transpire de passion et les fidèles autour de moi montrent autant d'enthousiasme. Tout le monde a un sourire fixé sur le visage et l'on ne vient pas pour se montrer comme parfois chez nous. On vient ici pour crier des « Amen » et des « Alléluia ». Les convertis sont également nombreux et l'Afrique donne une leçon à la vieille Europe en ce qui concerne la pratique vivante de la religion.

Après la messe, la cinquième en vingt-quatre heures, je refais mon paquetage. Le déjeuner est à tomber, encore une fois. Je confie à Jean-Benoît l'eau bénite qui m'avait été confiée à Fadiouth au tout début de ma marche. Je lui explique que je n'en ai plus besoin, maintenant que je suis arrivé à destination. C'est aussi pour moi une façon de le remercier de son accueil avec un présent qui le touche véritablement.

Je remercie tous les frères, mais aussi les sœurs contemplatives qui logent juste à côté et qui sont formidables de générosité et de bienveillance. Leur campement en travaux, elles cuisinent, fabriquent des bougies et écoutent les gens de passage comme moi. Elles m'envoient des vœux de bonheur par dizaines, alors qu'on ne se connait que d'un regard. Marie, la responsable, m'offre même, en cadeau de départ, un velouté de citron qui est un régal divin.

Un frère prend bientôt la route pour donner une autre messe dans un village voisin. J'en profite pour faire un bout de chemin avec lui. Il me raccompagne presque jusqu'à Rufisque où je dois retrouver Bou ce soir. C'est ainsi que je quitte la mission Saint-Jean, face à la basilique de Poponguine, comme je suis venu, les larmes en moins et la paix en plus. Une force renouvelée. De quoi tenir plusieurs semaines.

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