mardi 14 avril 2009

Retraite spirituelle II

 

De retour sur la petite côte avec la ferme intention de finir ce que j'avais commencé quelques semaines auparavant, je ne me pose aucune question. Un Ndiaga Ndiaye pour le sud. Gare routières et villes encombrées. Finalement, la tranquillité de l'océan face à moi. Rien d'autre que lui et moi, encore une fois, dans cette étrange danse qui n'a pour seul objectif la ville de Poponguine et sa basilique. C'est là-bas que je dois transmettre les prières de tous ceux qui ont cru en moi et m'ont confié leurs espérances. Je poursuis cette retraite spirituelle pour eux. Je sais que j'y arriverai.

La marche ne me fait pas peur. Il est si simple d'avancer devant soi sans penser à rien, en pensant à tout. Un pied devant l'autre et ainsi de suite. Enfantin. Il n'est pas même question d'orientation ici puisqu'il ne me reste qu'à longer la côte vers le nord jusqu'à destination finale. Le soleil lui-même ne saurait m'empêcher cette fois d'arriver au bout de ma route. La volonté est le plus puissant des moteurs.

Je ne compte pas les heures. Je ne compte pas les habitations dépassées sur ma droite à mesure que s'égrainent les minutes. Je bois régulièrement. Je marche dans l'eau pour m'hydrater en permanence. Quand le soleil arrive à son zénith, je couvre mon crâne d'un tissu que j'humidifie dès que je considère qu'il ne me sert pus à rien d'autre qu'à me couvrir.

Les Sénégalais sont toujours aussi charmants et chaleureux avec moi. Toujours aussi curieux aussi. Certains m'accompagnent sur plusieurs centaines de mètres, le temps d'un village, avant de me laisser seul face à ma longue route. C'est toujours ainsi que cela se passe. Faire une petite partie d'un trek, d'un périple, d'un pèlerinage avec un inconnu a quelque chose de mystérieux, de jouissif et d'apaisant. Le bien-être que l'on en tire est extrême. Tous ceux qui ont l'habitude de marcher seul à l'étranger connaissent cette sensation extraordinaire que de rejoindre ou d'être rejoint par un marcheur isolé. Pas besoin de parler. Ne surtout pas parler pour ne pas briser cet état de plénitude. On avance et c'est tout, absolument tout ce dont on a besoin pour se sentir libre et vivre cette liberté.


À Mbour, je m'arrête au port. C'est un des plus importants du pays avec ses pirogues qui rapportent du poisson à longueur d'année sur cette bande de sable couverte de pêcheurs. On tend les filets. On vide les embarcations. On trie les pyramides de nourriture odoriférante étalées au soleil. On effectue la répartition à la criée. On lave. On découpe. On emporte sur des charrettes. Et on recommence. C'est un manège sans fin auquel j'assiste depuis que je vis au Sénégal, avec ce je ne sais quoi de magique qui ne disparaît pas, cet exotisme qui ne me rassasie jamais tout-à-fait.


Saly. Tout autre décor. Ici, les ressorts, casinos ou autre bars karaoké ont remplacé la charmante animation des villages africains. Saly s'étend le long d'une superbe plage, il est vrai. Pas étonnant que le tourisme balnéaire y soit devenu roi. C'est aussi le paradis des retraités occidentaux, les Français en tête comme d'habitude au Sénégal. Je croise alors des ventres rebondis et des nez rouges de coups de soleil devant lesquels quelques artisans vont tenter de vanter les mérites de leur camelote. La cercle sans fin du tourisme. Encore.

J'aperçois aussi quelques Sénégalais en manque de visa qui s'accroche désespérément aux touristes qui ne voient rien à l'entreprise entamée sous leurs yeux, qui confondent encore gentillesse dénuée d'intérêt et tentative laborieuse pour sortir du pays. En dix secondes, le blanc devient l'ami du noir. Le blanc loue les relations humaines en Afrique et jure que « ce n'est pas comme ça chez nous ». Platitude de pensée vide à l'excès. Je souffre de honte devant ces Français qui vivent dans un décor de carte postale et qui ne voient jamais la misère parce qu'ils ne veulent pas la voir.

Autour d'eux, les enfants courent et réclament des cadeaux, stylos et bonbons en wolof. Les Occidentaux, qui n'en pipent mot, trouvent cela touchant, « ils sont tellement mignons ces enfants ». C'est alors au tour du nouvel ami, devenu guide et garde du corps par peur de perdre ses pigeons, de chasser les enfants devant l'indignation hypocrite de la femme qui commençait à s'inquiéter cependant de l'insistance des gamins en haillons.

Saly, c'est beau mais non merci. Très peu pour moi. Je préfère encore marcher.


Puis les villages s'enchaînent. Ngaparou s'impose bientôt. Aussi joli que Saly et tellement plus calme. Les palmiers cachent des villas roses ou blanches sur le dos de la falaise. Une mosquée trône au dessus des petits maisons du vieux village. Les jeunes jouent au foot sur la plage et je suis de retour au Sénégal.


Je traverse ensuite la lagune de La Somone. Littéralement. On me dit qu'il faut passer en pirogue, que c'est impossible autrement, qu'on ne peut pas continuer tout droit à pieds. Pas question de prendre une embarcation. Je suis têtu. Je dois passer absolument en marchant pour ne pas trahir mon défi. Je me mets en quête de bancs de sable et de zones peu profondes. Je trouve rapidement ce qu'il me faut.

Je me déshabille devant les mamas qui m'encouragent à tenter la traversée et celles qui me disent adieu. Le sac sur la tête, j'avance contre le faible courant, de l'eau jusqu'à la taille. En peu d'efforts, j'ai traversé la lagune. J'en profite pour observer les oiseaux nichés sur un petit îlot qui me rappelle inévitablement la Langue de Barbarie. C'est en fait une réserve naturelle que je suis en train de traverser en pataugeant ainsi. Sans guide et sans pirogue, je m'en tire pour trente minutes de séchage au bout du compte. Le jeu en valait la chandelle. D'autant que je suis passé en marchant, comme promis.


Après un peu plus de trente-cinq kilomètres de marche aujourd'hui, j'arrive finalement, le soir venu, à Poponguine, au détour d'un immense bloc de pierre rouge et jaune. Le village est adossé à la petite colline, encore une fois. Au sommet, entre les maisons à étages et les palmiers, je peux apercevoir la basilique tant convoitée.

Petite marche forcée entre les ruelles. J'en courrais presque, riant en gravissant les marches qui mènent à la partie haute du village. La grande croix se rapproche inlassablement jusqu'à se dresser face à moi, imposante d'enjeux.

Je l'ai fait. Je suis épuisé mais tellement heureux d'avoir réussi à délivrer les messages et les prières de chacun. J'ai une pensée pour tous. L'un après l'autre. Je revois des images de ma longue marche quand je ferme les yeux, tous les visages et tous les mots échangés de Fadiouth à Poponguine, là où j'achève ma retraite spirituelle.

Enfin presque...

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