jeudi 2 avril 2009

Grande côte

 

Je reprends ma route à pieds sous une chaleur accablante. Il n'est pas midi mais sitôt qu'on entre dans les terres, l'air devient sec et le soleil ne pardonne pas. Je fais la course avec des charrettes tirées par des ânes devant un lac de sel teinté de reflets roses. Ça me rappelle vaguement quelque chose.

Je croise une foultitude d'écoliers en uniforme. Ils jouent sur la piste devant leur école, une boisson au bissap collée sur les lèvres. Quand ils en ont assez, ils jettent les emballages plastiques que les chèvres se font un plaisir de mastiquer pendant des heures sur cette grande table à festin perpétuel.

De Gandiol, je retourne à Saint-Louis, gare routière. J'attends deux longues heures qu'un Ndiaga Ndiaye se remplisse. Comme la situation est loin de tourner à mon avantage, je réoriente mes espoirs sur un mini-car, un peu plus cher mais plus rapide à remplir, en théorie. J'annule bien vite mes grandes ambitions et je dois me rabattre sur un taxi sept places. Deux heures pour combler les places et descendre à Kébémer, à une centaine de kilomètres au sud. J'en profite pour manger un mafé dans un boui-boui aux conditions d'hygiène plus que douteuse. La mama au moins est-elle souriante et chaleureuse.

De Kébémer, je prends la direction de la côte pour me rendre à Lompoul. Je ne connais pas la distance qui sépare les deux villes. Je demande à quelques passants de m'indiquer le kilométrage exact, ou assimilé, afin d'établir mon programme à venir : marche ou pas. Les gens ne peuvent me répondre, ne me comprennent pas, me disent simplement que c'est loin. C'est une borne sur le bord de la route qui me donnera l'information désirée : 34 km. Je pose aussitôt mon sac sous un grand baobab qui me procure l'ombre nécessaire à mon attente.

À peine ai-je le temps de boire une gorgée d'eau qu'un fourgon rempli de sac de grains pour le bétail s'arrête et le chauffeur me demande si je veux monter. La question ne se pose pas deux fois, je saute sur les sacs à l'arrière et je pique du nez malgré les secousses.


Lompoul. Lompoul-sur-mer pour être précis, avec ce côté sud de la France qui dénote la source d'inspiration flagrante. Le petit port charmant et la place du village sont hélas déjà altérés par la venue de gamins qui, du haut de leur six ans, tendent la main en demandant un cadeau, des bonbons et un stylo. Ils viennent avec un grand sourire et repartent en proférant des insultes. Je suis blasé, ce qui ne m'empêche pas d'être déçu.

Je suis venu à Lompoul pour voir ses dunes. Sur plusieurs kilomètres, de grandes dunes de sable, de type mauritaniennes, s'étalent le long de la mer. C'est une curiosité naturelle au Sénégal qui vaut le détour, si l'on en croit les guides touristiques. En réalité, ce ne sont pas les dunes auxquelles ont est en droit de penser. Des images de rallye plein la tête, je me figure tout autre chose que ce que j'aperçois en face de moi.

Les dunes de Lompoul ne sont pas de sable fin. Elles sont à tendance ocre dans les terres, ce qui ne les empêche pas d'être impressionnantes. Pour le reste, elles sont surtout tassées par la végétation galopante. On ne voit pas les dunes à vrai dire. Le relief est écrasé sous le poids des arbres et, plus intéressant, des champs agricoles. Les cultures de tomates, de choux et autres se multiplient.

Je fais la rencontre d'un cultivateur du village qui m'initie à l'agriculture sur sable. Je plante avec lui quelques oignons histoire de ne pas mourir idiot. Je suis surtout intrigué par l'irrigation qui semble parfaitement fonctionner ici alors que le pays tout entier est ravagé tous les ans par la sécheresse. Lompoul démontre, s'il était nécessaire, qu'il est possible de donner la vie à n'importe quel coin du globe, même à un désert, à force de bonne volonté.

En fin d'après-midi je m'installe dans un campement de villageois, dissimulé dans les dunes. Exactement ce dont j'ai besoin : du calme et de l'isolement. Je négocie un prix plus que correct pour une case et la nourriture avec le gérant qui a quitté Dakar il y a huit ans parce que la capitale n'est que bruit et folie. J'en conviens et l'homme paraît tout-à-fait intéressant. Hélas, quand un vendeur de projecteurs lui rend visite et qu'il a besoin d'argent, il s'énerve dans le vent et me demande plutôt mal de le payer illico. Je le rembarre en lui disant qu'il est aussi stressé que les gens de Dakar, qu'il ferait aussi bien d'y retourner. Il trépigne d'impatience devant ma sérénité. Je lui porte le coup de grâce en lui disant que s'il me parle mal, je vais trouver un autre campement sur le champ. L'homme se confond alors en excuses, me demande de lui pardonner, mais il ne veut surtout pas manquer l'occasion d'acheter sa camelote made in china.

La situation s'apaise mais je sais dores et déjà que je n'ai pas frappé à la bonne porte. Pour une fois que je décide de jouer le touriste en payant une nuit dans un campement, histoire de faire marcher l'économie locale, j'ai tiré la mauvaise pioche.

Je passe ma soirée au coin du feu à regarder des braises se consumer une à une. Il fait vraiment froid après la tombée du jour et le feu de bois n'est pas de top. La famille du gérant arrive bientôt et personne ne s'inquiète de ma présence. On ne me voit pas. On parle wolof du début à la fin. Amoul solo. Quand le dîner est prêt, le gérant, qui ne deviendra décidément pas un ami, me déclare que je dois manger plus loin, où l'on ma dressé une table. La famille mangera après.

Qu'il en soit ainsi. Je ne suis pas dans un campement de villageois mais dans un hôtel à touristes parasites. Je suis un paria, un pestiféré. Je suis choqué, c'est la première fois que je vais manger seul depuis que je suis en Afrique. D'habitude, tout le monde m'invite à partager le même plat alors qu'ici je dois manger dans mon coin, comme un chien. Je prends cette attitude pour une insulte, avale mon plat et pars me coucher.

Le lendemain, j'exprime le fond de ma pensée au gérant qui ne sait plus ou se mettre. C'est déjà ça. Je garde toutefois un goût amer de ce passage à Lompoul à cause de ce grand type qui n'est pas venu ici pour le calme mais pour la manne financière que cela représente. Tout le reste n'est que salamalecs. Encore une fois, il se confond en excuses et le petit-déjeuner sera beaucoup plus chaleureux. On m'offrira finalement une bouteille d'eau minérale pour la route. L'hospitalité serait-elle de retour après s'être fait secouée un instant ?


Kébémer à nouveau, pour retrouver la nationale, puis Tivaouane, beaucoup plus au sud. Là je vais observer la grande mosquée en travaux, grand lieu de culte en devenir. Les ruelles qui l'entourent ressemblent à celles de Yoff. Les pieds dans le sable, accompagné par des chèvres et des cris d'enfants, à moins que ce ne soit l'inverse, je déambule au hasard pendant une heure ou deux. On m'invite à boire le thé comme il se doit et je retrouve le sourire.

Je monte dans un Ndiaga Ndiaye qui me conduit dans le milieu de l'après-midi vers M'boro. M'boro-sur-mer. Je fais la route avec Ibrahima qui habite le village et me parle de la religion musulmane avec enthousiasme. Il l'est moins quand il s'agit des femmes qui pratiquent l'adultère à tout-va selon lui.

    • Elles n'ont rien à faire de leur journée alors forcément... dès qu'on travaille, elle vont voir un autre homme.

C'est tellement évident quand c'est aussi simple que ça, n'est-ce pas ? L'homme fait alors l'apologie du modèle européen.

    • Une seule femme, ça suffit. Si elle t'aime, tu n'en as pas besoin d'une autre. En plus, ça coûte cher une femme. Il faut l'entretenir...

Je jubile intérieurement. L'entendre est un ravissement pour les oreilles et les zygomatiques. Son frère vient également de se marier, sans être présent à son mariage puisque, de fait, il est en France en ce moment. Il aura le droit à une belle surprise à son retour. Du moins peut-on lui souhaiter...

Nous arrivons à M'boro où j'aide un vieil homme à réparer un vélo antédiluvien, préhistorique. Je me pose quelques temps sur la plage de pêche où les hommes tirent les pirogues, de retour de mer. Les femmes commencent alors leur manège et la criée s'organise. Les chevaux se ruent vers ce qui devient vite le marché du port et apportent leur lot d'acheteurs potentiels sur leur charrettes. Les filets sont bien remplis et les pirogues toujours aussi colorées. De bleu et de jaune essentiellement, une phrase à la gloire de Dieu et quelques portraits de marabouts peints sur les flancs pour les plus inspirées.

Lorsque tout se calme enfin, il ne reste plus que l'océan et moi. Il ne peut en rester un et ça ne peut être moi dans ce combat joué d'avance. Je me retire alors, vaincu mais pas perdant, et reprends la direction de la capitale, laissant la grande côté et le nord derrière moi.

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