18 février 2009. 1h45 du matin.
L'A321 de la TAP se pose lourdement sur le tarmac. Des grondements timides font écho aux quelques applaudissements perdus dans la cabine du vol TP 209. L'avion n'est pas encore arrêté que les passagers, Sénégalais pour la plupart, se pressent pour descendre les premiers, enfilent une laine et leur barda sur le dos puis se massent devant les portes de la carlingue.
Surprenant. Ils savent pourtant attendre mieux que moi, du moins sur le papier, habitués qu'ils sont de toujours tout prendre avec patience, certains diraient avec sagesse, dans leur vie de tous les jours. Des vacances en Europe les auraient-ils détournés à ce point de leur nature ? Sont-ils devenus des Parisiens stressés en l'espace d'un week-end ?
Ils sont encore tous agglutinés quand l'avion s'immobilise enfin. Yoff-Dakar. Aéroport international Léopold Sédar Senghor. J'y suis. Je viens de parcourir mon premier Paris-Dakar. Via Lisbonne et en avion, certes. Mais le tracé reste mythique pour tous les voyageurs. Et puis je suis arrivé à Yoff, précisément où je vais résider les trois prochains mois.
Ce village de pêcheurs, je l'ai d'abord découvert sur le net. Puis à travers les mails de mes amis et collègues sur place, venus préparés la mission avant moi. Il y a quelques instants, c'était par la voie des airs que j'en distinguais les lumières. Une ville de nuit a toujours ce je ne sais quoi de magique, de si particulier qu'on ne lui retrouve jamais plus ensuite.
La première image d'une ville, d'un pays, il faut la conserver au fond de soi. Elle n'appartient à nul autre et ne peut être retranscrite sur aucune photo. Les mots, eux-même si puissants, ne peuvent décrire l'émotion ambiguë que l'on ressent à cet instant. C'est un sentiment mêlé de mille autres sentiments qui nous submerge alors qu'on n'y est pas préparé. C'est un premier cliché et la fin de tous les stéréotypes que l'on avait, puisqu'on ne peut pas ne pas en avoir, sur une destination désirée.
Pour moi, c'est la première vision de l'Afrique dite « noire ». Je connaissais assez bien l'Afrique du Nord pour y avoir séjourné à plusieurs reprises, mais c'est mon dépucelage subsaharien. Ça y est, je suis un homme à présent.
Dans le hall de l'aéroport, je remplis rapidement une fiche de renseignements que je tends à un agent de police qui me demande de préciser mon adresse sur place. Il est vrai que je me suis tenu au nom de l'association sur place : Apecsy.
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Apecsy 1, 2 ou 3, me demande-t-il ?
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J'en sais rien. 4 ? Je ne sais pas où je vais être logé exactement.
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Quelqu'un est venu vous chercher ?
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J'espère, oui.
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Alors, allez les chercher, me dit-il, sec comme il se doit pour paraître dans son bon droit.
Je fais un rapide tour d'horizon autour des tapis roulants qui crachent déjà quelques bagages : rien de très encourageant, à vrai dire.
Je reviens vers mon agent.
Là, le gars me regarde étonné. Que vais-je lui sortir pour l'embrouiller alors que manifestement je ne sais pas du tout où je vais dormir ?
Je lui tends alors une carte de professeur et un contrat avec une boîte postale, à Yoff, de l'association en question. Il la regarde et me dit :
Et tout en me disant ça, il tamponne mon passeport d'un logo rouge vif. Je suis accepté sur le territoire. Je ramasse mes papiers et me sauve en vitesse avant que l'agent ne transforme son « non » en un vrai « non » fatal.
Alors que je finis de poser mon sac, fraichement arrivé lui aussi, un chauffeur de taxi m'interpelle. Puis un second. Puis un troisième. A tous, je leur sers mon plus beau « non merci » du toubab déjà blasé avant d'arriver. Ils n'y sont pour rien, c'est vrai. Mais moi non plus pour le coup puisque je vas résider dans la ville de l'aéroport. Bye bye donc la longue commission vers un hôtel de Dakar. Ce sera sans moi.
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Taxi ? insiste encore un chauffeur qui n'a visiblement pas bien compris que je n'avais besoin de personne.
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Non merci...
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Où vas-tu comme ça avec ton sac ? essaie-t-il courageusement.
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A Yoff. C'est-à-dire ici !
Loin d'être décontenancé, le type se prend la tête entre ses mains et me déclare, catastrophé :
Le ridicule ne tue pas, ici non plus. Pire, il aurait été capable de me faire payer la course une fortune comme il arrive quelquefois à le faire avec des touristes à peine débarqués, pas encore au fait de ce genre de procédés et, surtout, pas très vigilants.
On me racontera bientôt l'histoire de cette jeune étudiante venue ici-même et qui déversa 40.000 CFA – 60€ – pour le même genre de course et un coup de téléphone local le premier jour de son arrivée.
Pas très honnêtes, les chauffeurs de taxis, plus ou moins officiels ici, ont bien compris l'enjeu et prennent volontiers leur part du gâteau en profitant de la crédulité de certains occidentaux. Faut-il leur en vouloir pour autant ? Nous dirons simplement que c'est le jeu. Qu'on se fait tous avoir d'une manière ou d'une autre en tant qu'étrangers dans une destination lointaine. Qu'on soit touriste, voyageur, expatrier ou vagabond ne change rien à l'affaire. Comme bien souvent, c'est juste une facette du pays qu'il faut apprendre à gérer, avec le temps, et à laquelle il n'est pas très difficile de faire face finalement.
Toujours est-il que je suis sorti de l'aéroport et que personne n'est venu me chercher. N'ayant pas l'adresse de l'appartement, je m'imagine déjà demandant le chemin de Yoff Village à des passants pris au hasard.
C'est à ce moment que j'entends une voix au loin criant mon prénom.
Cette voix, c'est celle de Bou. Une sorte d'administrateur général de l'association sur place. C'est lui qui s'occupe de tout pour rendre notre séjour le plus agréable possible. Il nous aide surtout à faire les premiers pas dans un pays dont on ignore tout et qu'il connaît jusqu'au moindre détail.
Avec lui, Walâya, une très bonne amie avec qui j'ai suivi des études en Sorbonne il y a quelques temps et qui travaille avec moi sur cette mission à Yoff. Elle est ravie de me retrouver si loin de chez nous. Je ne le suis pas moins. Elle m'assure en riant que ce n'est pas elle qui m'a reconnu de loin mais Bou, lui qui ne m'a jamais vu. Je suis entre de bonnes mains, j'en suis convaincu...
Le plus étonnant, me déclarent-ils, c'est que je suis arrivé à l'heure. Chose extrêmement rare au demeurant. Ils s'attendaient à passer la nuit à m'attendre à l'aéroport comme à chaque nouvel arrivage. C'était sans compter sur ma bonne étoile qui m'accompagne partout où je vais depuis tant d'années.
Yoff de nuit. Pas grand chose à en dire pour être sincère. Si l'on excepte le fait que Yoff ne semble pas du tout être un village mais bien une grand ville de la banlieue de Dakar. Je ne suis pas encore dans le coup. Tout défile devant mes yeux endormis. Après une nuit de sommeil, à la lumière du jour, tout aura déjà disparu de toutes façons. Je ne reconnaitrai rien à ces quartiers traversés, emplis d'échoppes closes et de chèvres ambulantes.
Et puis nous arrivons à l'appartement, dans un immeuble de deux étages aux teints clairs. A l'intérieur, la collocation sent bon le squat pour jeunes expatriés. Un tapis jeté au sol en guise de table et deux matelas en mousse servent ici de canapés. Rien d'autre dans cette grande pièce principale aux murs blancs. La fenêtre et la porte donnant sur le balcon sont pour l'instant closes. Deux personnes dorment profondément à cette heure avancée et c'est tout discrètement qu'on souhaite les retrouvailles ou qu'on accueille le nouveau venu.
Ma chambre étant également occupée ce soir par une ancienne professeur de l'association, je ne ferai réellement le tour du propriétaire que le lendemain. Pour le moment, les canapés-mousses du salon feront l'affaire pour Bou et moi. J'aurai bien assez tôt fait de me concocter un petit coin douillet bien à moi.
La première nuit est difficile. Je ne trouve pas le sommeil. Mille questions me viennent en tête. Mon cœur, lui aussi, est ailleurs. A des milliers de kilomètres d'ici. Vers la femme que j'aime et qui est restée poursuivre ces études en France.
Quand finalement je parviens, à bout de forces, à trouver le chemin de Morphée, les imams du quartier me tirent d'une déambulation onirique tant attendue. Ce ne sera que partie remise mais j'ai bien compris le message. Deux mosquées en même temps – on peut en entendre jusqu'à cinq – mêlent leurs chants pour fêter mon arrivée. L'invité est honoré. L'invité est plus encore fatigué.
Huit heures. Je décide de rendre les armes. Je ne dormirais pas vraiment, c'est désormais une certitude. Les calèches et les chèvres qui trônent en bas de la fenêtre finissent de me torturer un instant. Je me lève alors et prends la décision de rejoindre dès aujourd'hui les salles de classe pour accompagner Walâya et Fiona afin de donner un cours d'informatique. En théorie, je ne devrais commencer qu'après le week-end – soit dans cinq jours – mais l'envie et la curiosité sont plus fortes que moi. D'autant plus que je ne m'imagine pas rester passif dans l'appartement toute la matinée, ça ne me ressemble pas.
Après un petit déjeuner rapide fait de thé et de tartines, nous empruntons la longue rue qui longe le saint mausolée de Yoff. Les filles couvrent aussitôt leur pantalon de tissu pour en faire des jupes. La tradition est respectée à la lettre. L'honneur est sauf. Une fois le mausolée dépassé, elles rangent leur tenues éphémères et nous poursuivons notre chemin.
Les Sénégalais sont massés dehors. On a beau nous dire qu'il fait froid, on a l'impression qu'ils vivent tous dans la rue, devant leurs boutiques ou celles de la famille. Nombreuse, cela va sans dire.
La rue est parée de travaux unicolores. L'image qui me semble le plus correspondre à ce qui m'entoure est celle d'un chantier ensablé gauchement. Le gris parpaing est de rigueur et quelques portes bleues viennent désordonner avec élégance cet ensemble monocorde. La couleur n'est donc pas dans les constructions mais bien sur les Hommes. Davantage encore sur les femmes, ce qui n'a rien de surprenant.
Les tissus pastels ou criards dansent sur le sable perdu dans ces rues incomplètes. Des charges lourdes de bonheur ponctuent le sommet de crâne de nombre d'entre elles. Pas besoin de s'entraîner à défiler des heures durant avec un livre sur la tête, le maintien parfait se trouve ici. Ne cherchez plus ailleurs.
Premier cours. Je suis là en observateur. Cinq minutes seulement. Après quoi, on ne peut plus m'arrêter, je ne réponds plus de rien. Un coup d'œil à droite. Un autre à gauche. Je dispense mon aide comme je peux en me disant souvent que la tâche est tellement immense qu'on n'aura jamais le temps de leur apprendre suffisamment durant la période de formation. Certains, en effet, partent de très loin ou n'ont, tout simplement, jamais utilisé d'ordinateurs avant de se porter volontaire pour le programme. Quand les uns vont plus vite, on les envoie au service des plus faibles et tout s'enchaîne dans un esprit de solidarité touchant. Attachant.
Les quatre-vingt-dix minutes de cours passent si rapidement que je n'ai pas le temps de finir une explication avec une étudiante que les autres filent dans mon dos. En un éclair, nous nous retrouvons, Fiona Walâya et moi, seuls dans la salle informatique mise à notre disposition par l'Apecsy. Dans la cour commune, des enfants miment une récréation dans leur tenue verte d'écoliers sages. Les sourires fusent et les rires d'enfants se démultiplient. Comment rester insensible à la joie des plus jeunes ? Cela vous transporte aussitôt, le plus niaisement du monde il faut le reconnaître, dans un monde de simplicité.
De retour dans la rue, on oublie le mythe de la pureté sauce africaine. Il ne suffit pas d'être pauvre pour être heureux ; que cela soit dit dans les sphères occidentales où la bonne conscience se négocient à coup d'aide humanitaire aveugle. Ici, les klaxons démontrent la finesse de l'homme dans toute sa splendeur. Les enjoliveurs, frôlant les jambes trop blanches, imposent un rodéo disgracieux devant des autochtones indifférents.
Il n'est de paradis que spirituel.
Keur Apecsy. Le siège. Je sus reçu par Moussa Gaye, le chargé des relations internationales de l'association. Il narre ses aventures parisiennes sans jamais tarir sa source tandis que j'informe mon entourage de mon arrivée via internet. Mon hôte évoque ses équipées plus ou moins organisées en région parisienne avec des groupes de Sénégalais présents au départ, plus rarement au moment du retour. Il est impossible de l'arrêter et ce n'est qu'en remettant mon sac à l'épaule qu'il comprend que l'heure a sonné pour lui de mettre un terme à son monologue, véritablement riche en informations diverses et absolument non triées.
Retour à l'appartement. Je fais la connaissance de Awa, notre cuisinière, jeune maman de deux enfants. Le sourire fixé aux lèvres toute la journée, elle nous prépare des petits poissons fris aux oignons pendant plusieurs heures. Il faut du temps pour tout ici et il ne faut pas compter avec un repas à heure fixe. Toutefois, la patience a du bon puisque cela permet l'échange, le partage.
Le repas est divin et Awa comblée d'éloges, rougissante devant les compliments. Elle est captivée par une chanson de David Walters qui porte son nom et que je viens de lui faire découvrir, les écouteurs branchés sur ses oreilles. La chanson est en créole et elle n'en pipe mot mais reprend « Awa » en dodelinant de la tête avec enthousiasme.
Après le déjeuner, je suis initié au rituel du thé sénégalais. Awa, Walâya, puis le voisin et petit ami de Roxane, la responsable du projet cette année, viennent tour à tour apporter leur thé à l'édifice. Tantôt amer, tantôt sucré à souhait, nous passons de longues heures autour de nos deux tasses pour toute la collocation, partage et échange oblige, m'explique-t-on quand je propose d'en acheter de nouvelles.
Bou m'explique alors que dans une famille de soixante personnes, on ne trouvera également que deux tasses, justement pour respecter cette idée fondamentale. Oui, cela prend du temps. Oui, plus on est nombreux et plus il faut attendre mais c'est ainsi. Je ne sais pas si l'échange est meilleur dans l'attente ou la dégustation simultanée mais je dois m'habituer à ce nouveau procédé comme à tant d'autres.
Dans l'après-midi, je pars courir sur la plage. Je vois défiler charrettes attelées et pirogues chargées de poisson. C'est le retour de mer pour ces pêcheurs yoffois. La criée s'organise rapidement autour de femmes qui mènent la danse. Au rythme de la course, je les ai bientôt dépassé et les parties de football se multiplient sur mon passage. Le foot est ici une seconde religion. Tous les hommes semblent jouer et occuper leur temps disponible de cette manière. Je remarque rapidement que les maillots de l'équipe phocéenne sont légion sur cette plage. Marseille c'est un peu comme le Sénégal...
Plus loin, j'entends mon premier « shalom ». Partout où je passe dans le monde, les résidents ont pour habitude de me confondre avec un Israélien. Je me souviens alors de cette anecdote qui m'arriva dans le Yunnan. Un Israélien m'interpela en hébreu alors que je m'apprêtais à dévorer une tartine baguette-camembert depuis longtemps désirée. Je lui expliquai que je ne parlais pas hébreu puisque, de fait, je ne suis pas Israélien. Un peu déçu mais pas dérouté pour autant, il me demanda aussitôt en anglais :
Non plus ! Mauvaise pioche ! Je ressemblais à je ne sais quel voisin ou petit frère de Tel Aviv. Ou bien était-ce de Jérusalem ? Je ne sais plus. Cette histoire, on me l'a déjà racontée aux quatre coins du globe.
Sur ma plage de Yoff, « shalom » est vite remplacé par des « salam haleikoum » plus de rigueur. Mais aussi par les incontournables « toubab » des enfants qui confondent souvent blancs et riches touristes transformés en distributeur automatique de billets. Ainsi en va-t-il ici. Au moins n'ai-je senti aucune animosité envers moi en ce premier jour.
En rentrant à l'appartement après avoir rencontré avec Roxane un professeur sénégalais, futur intervenant pour la session, je me mets en tête de reprendre mes cours de chinois. Apprendre le chinois au Sénégal pour un Français peut paraître surprenant mais la mondialisation appelle quelques fois certaines aberrations de cette nature, sans doute contre nature, un peu aussi. Je suis bien vite arrêté dans mon élan en apprenant qu'Awa ne sait ni lire, ni écrire, chose encore assez courante au Sénégal, surtout chez les femmes. Ni une, ni deux, je me fais professeur d'alphabétisation. Awa n'est pas réticente, bien au contraire. Elle apprend même très vite. Deux lettres aujourd'hui. Le « A » et le « W ». Des lignes de copiage, des exercices de repérage sur différents supports écrits et la voilà, en trente minutes, qui parvient à lire et écrire son prénom. C'est pour elle, comme pour moi, une grande réussite.
Je conviens toutefois de ne pas dépasser une dose quotidienne homéopathique, de même que de ne pas la contraindre à cet apprentissage si elle ne le souhaite plus. Walâya m'apprendra bientôt que son frère est assez réticent à tout cela. Je me dis que ces efforts seraient peut-être alors mal perçus dans sa famille. Il est vrai que je n'y avais pas songé sous cet angle. Mais la joie sur son visage en disait long sur son envie d'apprendre quand je lui ai proposé au départ. Je me dis finalement que j'ai bien fait. L'avenir m'en apprendra plus.
Avec Walâya, nous partons d'ailleurs chez un de ses oncles, un peu le tailleur des femmes de l'association. Elles ont toutes commandé nombre de robes, pagnes et vestes de couleur. Nous sommes là pour les retouches indispensables. Cette tenue est trop longue et l'on marche dessus. Celle-là n'est pas assez cintrée. Cette nouvelle est à revoir et la fermeture éclair à changer. Le tailleur ne prend pas de notes et mémorise tout. Le travail sera fait, dit-il, pour le lendemain et il le confiera à Awa avant qu'elle ne vienne travailler à l'appartement.
Non loin de là, nous rendons visite à la famille d'Awa. Les enfants reconnaissent Walâya et lui sautent dans les bras à peine sommes nous au coin de la rue. L'accueil est heureux. Il est plus chaleureux encore dans la maison avec quatre générations rassemblées autour de tele novelas brésilienne au doublage ahurissant de non réalisme. Ce n'est pas seulement surjoué, c'est également ridicule tellement ça sonne faux. Je me prends à exploser de rire et on me demande pourquoi cette réaction alors que tout le monde est rivé sur la télé avec un air sérieux, profondément absorbés qu'ils sont par une intrigue niaise à plaisir. Un coup d'œil de temps à autres pour m'assurer que Walâya trouve ça tout aussi absurde et je réalisé, qu'au fond, nos séries françaises ne sont peut-être pas aussi mauvaises que cela, en comparaison du moins.
Devant sa famille, Awa raconte en Wolof qu'elle sait à présent écrire son prénom. Les femmes de la maison, la grand-mère en tête, me sourient automatiquement. Ça passe bien. Son frère ne semble pas plus choqué que cela pour le moment. J'espère qu'elle n'aura pas de problèmes par la suite, en mon absence. Je le saurais bien assez vite.
Quelques portes plus loin, nous rencontrons David, un autre frère d'Awa, et sa femme Aby. Ils regardent un match de Paris en coupe d'Europe. Toujours le saint football. Invités à entrer un instant, Aby propose directement à Walâya qu'elle épouse son mari ! Je ne rêve pas, elle lui propose de partager son mari avec elle. C'est en fait assez classique comme procédé. La polygamie est très répandue ici et si les différentes femmes peuvent être amies entre elles, c'est tout bénéfice. Dans le cas de Walâya, vient s'ajouter à cela l'éducation et l'argent qui accompagne tous les Toubabs de passage. Remarier son mari signifierait alors une entrée d'argent non négligeable. La proposition transpire l'intérêt mais elle me fait rire à cause de l'entrain d'Aby à soumettre l'idée comme si elle était naturelle pour nous autres occidentaux.
C'est avec ses pensées en tête que nous rentrons à l'appartement manger une omelette frite avec des frites... cherchez l'erreur. La soirée se passe en toute quiétude et ma chambre commence à ressembler à quelque chose à présent.
Un peu de musique pour nous détendre. Quelques lignes écrites pour l'esprit. Une douche bien froide pour le corps et je m'apprête à passer une vraie nuit cette fois. Impossible d'envisager autre chose après une journée si chargée. Autant en émotions qu'en rencontres fortes. Je me sens déjà apaisé, sans être pour autant libéré.
Cela prendra du temps. Il en est ainsi, pour toutes choses, au Sénégal.