mercredi 25 février 2009

Le Lac Rose

 

Réveil de bonne heure. Nous décollons à huit heures pour la Lac Rose. Autre lieu symbolique s'il en est. Pour moi, le Lac Rose, c'est des images en pagaille d'arrivée du Dakar, tous les ans. Sauf que depuis deux ans, je ne me nourris plus de ces images merveilleuses. Pour combler ce vide, je me devais d'y aller par mes propres moyens.

Le Lac Rose c'est en effet, le lieu de l'arrivée du grand rallye africain. Pour arriver ici, les concurrents doivent franchir une longue langue de sable et de dunes qui sépare le lac de l'océan atlantique. Huit cents mètres de large seulement pour plusieurs kilomètres de long, c'est une merveille de la nature. Et comme tous ces paradis terrestre, il faut le mériter.

Nous voici donc partis pour plus de heures de route dans cinq cars différents pour nous enfoncer un peu dans les terres avant de retourner sur la côte en taxi clandestin, les « clandos » comme on dit ici. C'est long. C'est exténuant. C'est désespérant de désorganisation mais nous arrivons toujours à bon port. Même quand on nous dit que c'est dimanche et que c'est impossible de trouver un taxi, qu'on nous dit que c'est plus l'heure, nous ne mettons rarement plus de cinq minutes à débloquer une situation.

    • Vous avez de la chance ! nous lancent les locaux quand ils nous voient partir finalement.

C'est ainsi, nous avons de la chance. Je ne m'en souciais pas plus que cela à vrai dire. C'est une seconde peau dont je me pare parfaitement. Hier, pour appuyer la démonstration, alors que je courrai, je me suis arrêté pour ramasser un fer à cheval. Histoire de routine. Coup à prendre...


En arrivant au Lac Rose, pour dire la vérité, je crie à la supercherie. Il n'y a rien de rose ici. Quelques reflets à peine. Il faut dire que le ciel est voilé et que le soleil a du mal à percer. Bien vite, nous sommes accostés par des vendeurs à l'affut du moindre blanc qui débarquerait à l'improviste. Car pour ce qui est des tours opérateurs ou des colonies de vacances, nous ne les voyons défiler qu'en 4x4 ou en minibus, au compte goutte, sans jamais faire sortir leurs flots de vacanciers le long du lac. Quant aux taxis, ils sont la cible privilégiée des ambulants. Taxi officiel signifie touristes fortunés. Touristes fortunés signifie argent en perspective pour leur commerce. Et les négociations pot-de-colle commencent.

    • Bonjour ma copine, lance aux filles les vendeuses, sacs de bracelets et colliers en perles sur la tête, comme tu es belle ! Il est très beau ton bracelet !

    • C'est gentil, merci.

    • Tu es Miss France, toi !

La première fois, on se dit que c'est une bonne technique de vente et on rigole. Après deux ou trois vendeuses qui balancent la même phrase, celle-ci perd tout son charme et son intérêt. On en vient à devancer les ambulantes et on s'auto-proclame Miss France à leur arrivée.

Pour les hommes, c'est les « mon ami » qui prennent la tête assez largement. Et comment ça va ? Et la santé ? Et la famille ? Et tout ce qui nous entoure passe en revue avant qu'on en vienne à ce pour quoi ils sont tous là, nous vendre quelque babiole. Au Lac Rose, ce sont beaucoup de cornes de bœuf et de bracelets qui sont proposés aux touristes. L'ivoire étant interdit au commerce, braconnage oblige, les vendeurs insistent sur le fait que leurs cornes sont incassables, même dans les avions. On tente bien aussi de me refourguer un ou deux tableaux de sel et de sable, en vain car j'ai la tête dure.

Le sel, c'est ici la rentrée d'argent numéro un. Les travailleurs viennent du Mali, de Guinée même, pour extraire ce sel coloré du lac. Ils vont s'enliser au milieu du lac jusqu'à mi-poitrine et, à l'aide de grands bâtons pour casser la couche de sel située sous leurs pieds. Ils la remontent ensuite en morceau et la jettent dans leur pirogue. L'embarcation pourrait contenir jusqu'à une tonne de sel. C'est ainsi vingt quatre tonnes par jour de sel qui sont expulsées du Lac Rose.

Si le lac porte ce nom c'est à cause d'une petite algue qui rejettent dans l'eau salée des éléments colorés. Difficile de retenir les termes techniques et les noms savants biologiques mais pour faire simple : plus il y a du sel, plus les algues cracheuses de rose se développent, plus il y a d'algues, plus le taux de salinité augmente. C'est un cercle vicieux qui fait le bonheur de tout le monde, travailleurs et voyageurs.


Le soleil se dévoile peu à peu et nous découvrons bientôt la raison de la renommée du lieu mythique. Une couleur rose, rouge ou violette vient tacheter l'étendue d'eau par zones successives. C'est en fait quand les pêcheurs de sel cassent la croûte au fond du lac que cette couleur s'échappe en une explosion impressionniste. Au-dessus de nous, c'est un ciel moucheté de nuages de coton blanc qui s'ajoute au tableau sénégalais. Tantôt rouge sang, tantôt pluie pourpre, la surface de l'eau vogue au gré du vent également. Il faut donc croire que ma bonne étoile est présente une fois encore puisque toutes les conditions sont réunis pour faire de cette expédition un franc succès.

Sur le trajet de Keur Massar à Niaga, j'ai surpris mon premier baobab africain. Comme cela, au détour d'un champ et derrière une clôture basse. Je m'assoupissais quelque peu quand Walâya me tape sur l'épaule.

    • Regarde là-bas, me fait-elle, en pointant du doit l'arbre emblème de tout un pays.

Elle sait en effet que c'est le premier que je découvre, que c'est une partie importante de ma curiosité qu'elle comble ainsi. Le baobab sénégalais vaut bien les Grande Muraille ou autre Cathédrale Sainte-Basile. C'est un passage obligé dans la vie de tout voyageur qui se respecte et qui respecte son environnement.


Au loin, devant moi, les dunes s'étendent sur une bande de terre large de huit cents mètres et les cinq kilomètres de longueur que mesure le Lac Rose. Derrière les dunes et une forêt dégarnie, la plage immense se jette dans l'océan atlantique. C'est sur cette plage que les moteurs des véhicules du Paris-Dakar crachent leurs dernières forces pour l'arrivée finale.

Sans moteurs, nous refaisons le rallye à l'envers et coupons à travers la pinède, écrasons les dunes et piétinons l'herbe à chameau. Arrivé au bord de l'eau bien avant les autres – je ne parviens pas à me limiter au rythme sénégalais de marche, c'est-à-dire d'une lenteur à se pendre pour un marcheur comme moi – je sens la quiétude du lieu m'envahir doucement. Je grave deux trois mots dans le sable et mes pensées s'en vont loin d'ici. Les pieds chatouillés par l'écume, je réalise ma chance d'être là et de vivre tous ces instants magiques dont j'ai rêvé toute ma vie et que je réalise au quotidien.

Je ne suis pas dupe pour autant. Je sais parfaitement que cette chance, c'est moi qui la prend sans rien attendre jamais trop longtemps. Gourmand à l'extrême, je concrétise mes projets par la simple volonté de le faire. A mi-chemin entre le « ne rêve pas ta vie mais vie tes rêves » et le « ils ignoraient que c'était impossible alors ils l'ont fait » de Marc Twain, je poursuis mes objectifs et écarte un à un les regrets que j'aurais pu avoir en renonçant ici et là. Bien des contraintes sauraient m'empêcher de vivre cette vie nomade, les meilleures raisons du monde pourraient aisément me retenir, mais je maintiens le cap coûte que coûte. Capitaine de mon navire, je ne le quitterai qu'à la fin et pas avant. J'ai trop avancé désormais pour faire un demi-tour incertain.

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