samedi 18 avril 2009

Mission Saint-Jean

 

Épuisé physiquement comme mentalement, livré, vidé, je craque et fond en larmes involontaires. La pression se relâche et couvre mes joues de sentiments mêlés. C'est de joie que je pleure, de fierté et de revanche aussi. Et d'amour pour mes proches qui me manquent.

En sortant de la basilique, un aspirant de la mission Saint-Jean vient à moi.

    • Pourquoi pleures-tu, me demande-t-il ? Il faut oublier ta peine, tu es arrivé dans les bras du Seigneur.

    • Je n'ai pas de peine. C'est de bonheur que je pleure.

    • Tu sembles pourtant bien fatigué. Tu as beaucoup marché ?

    • Un peu.

Poponguine est réputé dans toute l'Afrique de l'Ouest pour son grand pèlerinage annuel, au moment de la Pentecôte. La marche que j'ai entreprise est en fait assez courante chez les croyants du Sénégal. Les frères de la mission ne s'étonnent pas une seconde de ce que je viens d'accomplir. Il existe même une petite salle réservée à l'accueil des pèlerins en face de la basilique.

    • Tu veux passer un peu de temps ici pour te reposer ?

La proposition ne se refuse pas. Jean-Benoît est un homme généreux et soucieux du bien-être d'autrui. Il ne cherche pas à savoir tout de moi au premier abord. Il n'éprouve pas le besoin de me questionner et je n'ai pas à me justifier. Il me laisse le temps de me confier, à lui ou à un frère, si le besoin s'en fait ressentir. De même, il ne me demande pas si je suis Catholique ou non ; la porte de la mission m'est ouverte naturellement.

    • Pierre-François va donner une messe à Yène, me confie Jean-Benoît, il est Français aussi. Tu veux y aller avec lui ? Il part dans cinq minutes.

J'ai le choix entre assister aux vêpres ici ou partir dans un village voisin pour une messe donnée chez des particuliers. J'opte pour la seconde et retrouve les joies de la voiture sur des pistes en terre, poussiéreuses et bosselées.

Le village de Yène n'est pas forcément le paradis pour les Chrétiens des environs. Si la tolérance semble régner entre les religions, ce n'est souvent que de façade, du moins en ce qui concerne les autorités. Pas question pour un maire musulman d'accorder la construction d'une église sur sa localité. Les fidèles se rassemblent ainsi chez eux, en toute discrétion. On monte un autel de fortune dans un salon. Les bancs de messe sont remplacés par des canapés rétro. On couvre le poste de télévision d'une broderie blanche pour le faire disparaître le temps d'une cérémonie qui n'est pas sans rappeler ce que vivaient les premiers Chrétiens, obligés de pratiquer leur culte dans des grottes pour ne pas se faire arrêter.

Le prêche de Pierre-François est intéressant, il évoque la soif que l'on a de rencontrer le Seigneur. Or, précise-t-il, il serait plus judicieux de chercher à le suivre plutôt qu'à le voir. Il propose ensuite une parabole qui me touche directement. Il prend le cas d'un marcheur qui ne parvient plus à avancer car son sac est trop lourd. Il est alors tiraillé entre plusieurs alternatives mais se résout à abandonner son sac et ses biens matériels. Le plus dur n'est pas de se séparer de son sac : c'est de ne pas avoir peur d'avancer.


De retour à la mission Saint-Jean, Jean-Benoît m'indique une chambre libre où je peux passer la nuit. En fait, toutes les nuits que je veux puisque je peux rester aussi longtemps que durera ma retraite, le temps de me ressourcer. Des lits superposés. Une table. Des étagères. Un lavabo. Je ne suis plus habitué à un tel confort, comme quoi tout est relatif. Un monastère serait un hôtel de luxe pour certains.

La cloche sonne, c'est l'heure du dîner. Les bénédicités effectuées, je m'extasie devant les mets proposés. Entrée, plat et dessert, pour la première fois depuis que je suis au Sénégal. Une salade de carottes râpées a pour moi une saveur particulière. C'est la nostalgie de la cuisine française, toute simple, pas forcément la grande gastronomie, qui se fait sentir. Des images de marché à Versailles m'assaillent et c'est encore une fois dans un moment de grand bonheur que je suis frappé d'un coup de blues. Un gratin de pommes-de-terre, haricots et un fromage blanc, coulis de fruits rouges finiront de m'achever. Le plaisir est si facilement atteint qu'il en est parfois déconcertant.

Après une énième leçon d'humilité livrée par les frères, les aspirants, les stagiaires et les bénévoles de la mission, je me dis que je suis encore très loin d'avoir trouvé ma véritable vocation. Je suis tellement loin du don de soi auquel sont parvenus ces hommes et ces femmes qui savent pourquoi ils sont là. Ils ont trouvé dans la foi cette étincelle qui fait d'eux des êtres accomplis. Pour ma part, j'ai beau me réaliser à travers le voyage, il me manque toujours la certitude de l'essentiel. Nomade, je poursuivrai ma route tant que mon initiation ne sera pas achevée, quand bien-même celle-ci n'aurait pas de fin.


Avant d'aller me coucher, je me rends à la chapelle pour assister aux vigiles. Le lieu, propice au recueillement, est éclairé de quelques bougies. Cela lui confère une atmosphère de chaude sérénité, perdue dans la simplicité du décor. Seuls quelques moustiques parviennent à troubler cet instant de méditation profonde. J'en profite néanmoins pour adresser des prières supplémentaires pour mes proches. Et je remercie. Encore et toujours.


Le lendemain, le soleil n'est pas levé que je suis de retour dans la petite chapelle en bois. Des chants accompagnent bientôt l'oraison, puis les laudes. Je suis à présent totalement apaisé. Je ne me force pas à venir prier, je le fais naturellement. Ce n'est pas la première fois que j'ai cette impression d'être cent fois plus pratiquant en dehors de mes frontières. Je me souviens avoir passé beaucoup de temps dans une église de Savannakhet au Laos pour me ressourcer, me laisser le temps de penser aux miens. C'est finalement assez logique que de ressentir ce besoin profond d'envoyer des prières à ceux qu'on aime quand on est seul, loin de tout. Une église, ou tout autre lieu sacré, restera pour moi un lien évident avec ma terre natale, pourvu que j'y trouve la quiétude nécessaire à ma démarche.


La cloche sonne une dernière fois pour moi. Celle-ci indique la grande messe du dimanche matin. Ayant assisté aux répétitions de la veille, je connais le message essentiel et m'y retrouve. Pourtant, je ne m'attends pas à ce spectacle. Les chants sont en français, mais aussi en latin et en wolof. La chorale transpire de passion et les fidèles autour de moi montrent autant d'enthousiasme. Tout le monde a un sourire fixé sur le visage et l'on ne vient pas pour se montrer comme parfois chez nous. On vient ici pour crier des « Amen » et des « Alléluia ». Les convertis sont également nombreux et l'Afrique donne une leçon à la vieille Europe en ce qui concerne la pratique vivante de la religion.

Après la messe, la cinquième en vingt-quatre heures, je refais mon paquetage. Le déjeuner est à tomber, encore une fois. Je confie à Jean-Benoît l'eau bénite qui m'avait été confiée à Fadiouth au tout début de ma marche. Je lui explique que je n'en ai plus besoin, maintenant que je suis arrivé à destination. C'est aussi pour moi une façon de le remercier de son accueil avec un présent qui le touche véritablement.

Je remercie tous les frères, mais aussi les sœurs contemplatives qui logent juste à côté et qui sont formidables de générosité et de bienveillance. Leur campement en travaux, elles cuisinent, fabriquent des bougies et écoutent les gens de passage comme moi. Elles m'envoient des vœux de bonheur par dizaines, alors qu'on ne se connait que d'un regard. Marie, la responsable, m'offre même, en cadeau de départ, un velouté de citron qui est un régal divin.

Un frère prend bientôt la route pour donner une autre messe dans un village voisin. J'en profite pour faire un bout de chemin avec lui. Il me raccompagne presque jusqu'à Rufisque où je dois retrouver Bou ce soir. C'est ainsi que je quitte la mission Saint-Jean, face à la basilique de Poponguine, comme je suis venu, les larmes en moins et la paix en plus. Une force renouvelée. De quoi tenir plusieurs semaines.

mardi 14 avril 2009

Retraite spirituelle II

 

De retour sur la petite côte avec la ferme intention de finir ce que j'avais commencé quelques semaines auparavant, je ne me pose aucune question. Un Ndiaga Ndiaye pour le sud. Gare routières et villes encombrées. Finalement, la tranquillité de l'océan face à moi. Rien d'autre que lui et moi, encore une fois, dans cette étrange danse qui n'a pour seul objectif la ville de Poponguine et sa basilique. C'est là-bas que je dois transmettre les prières de tous ceux qui ont cru en moi et m'ont confié leurs espérances. Je poursuis cette retraite spirituelle pour eux. Je sais que j'y arriverai.

La marche ne me fait pas peur. Il est si simple d'avancer devant soi sans penser à rien, en pensant à tout. Un pied devant l'autre et ainsi de suite. Enfantin. Il n'est pas même question d'orientation ici puisqu'il ne me reste qu'à longer la côte vers le nord jusqu'à destination finale. Le soleil lui-même ne saurait m'empêcher cette fois d'arriver au bout de ma route. La volonté est le plus puissant des moteurs.

Je ne compte pas les heures. Je ne compte pas les habitations dépassées sur ma droite à mesure que s'égrainent les minutes. Je bois régulièrement. Je marche dans l'eau pour m'hydrater en permanence. Quand le soleil arrive à son zénith, je couvre mon crâne d'un tissu que j'humidifie dès que je considère qu'il ne me sert pus à rien d'autre qu'à me couvrir.

Les Sénégalais sont toujours aussi charmants et chaleureux avec moi. Toujours aussi curieux aussi. Certains m'accompagnent sur plusieurs centaines de mètres, le temps d'un village, avant de me laisser seul face à ma longue route. C'est toujours ainsi que cela se passe. Faire une petite partie d'un trek, d'un périple, d'un pèlerinage avec un inconnu a quelque chose de mystérieux, de jouissif et d'apaisant. Le bien-être que l'on en tire est extrême. Tous ceux qui ont l'habitude de marcher seul à l'étranger connaissent cette sensation extraordinaire que de rejoindre ou d'être rejoint par un marcheur isolé. Pas besoin de parler. Ne surtout pas parler pour ne pas briser cet état de plénitude. On avance et c'est tout, absolument tout ce dont on a besoin pour se sentir libre et vivre cette liberté.


À Mbour, je m'arrête au port. C'est un des plus importants du pays avec ses pirogues qui rapportent du poisson à longueur d'année sur cette bande de sable couverte de pêcheurs. On tend les filets. On vide les embarcations. On trie les pyramides de nourriture odoriférante étalées au soleil. On effectue la répartition à la criée. On lave. On découpe. On emporte sur des charrettes. Et on recommence. C'est un manège sans fin auquel j'assiste depuis que je vis au Sénégal, avec ce je ne sais quoi de magique qui ne disparaît pas, cet exotisme qui ne me rassasie jamais tout-à-fait.


Saly. Tout autre décor. Ici, les ressorts, casinos ou autre bars karaoké ont remplacé la charmante animation des villages africains. Saly s'étend le long d'une superbe plage, il est vrai. Pas étonnant que le tourisme balnéaire y soit devenu roi. C'est aussi le paradis des retraités occidentaux, les Français en tête comme d'habitude au Sénégal. Je croise alors des ventres rebondis et des nez rouges de coups de soleil devant lesquels quelques artisans vont tenter de vanter les mérites de leur camelote. La cercle sans fin du tourisme. Encore.

J'aperçois aussi quelques Sénégalais en manque de visa qui s'accroche désespérément aux touristes qui ne voient rien à l'entreprise entamée sous leurs yeux, qui confondent encore gentillesse dénuée d'intérêt et tentative laborieuse pour sortir du pays. En dix secondes, le blanc devient l'ami du noir. Le blanc loue les relations humaines en Afrique et jure que « ce n'est pas comme ça chez nous ». Platitude de pensée vide à l'excès. Je souffre de honte devant ces Français qui vivent dans un décor de carte postale et qui ne voient jamais la misère parce qu'ils ne veulent pas la voir.

Autour d'eux, les enfants courent et réclament des cadeaux, stylos et bonbons en wolof. Les Occidentaux, qui n'en pipent mot, trouvent cela touchant, « ils sont tellement mignons ces enfants ». C'est alors au tour du nouvel ami, devenu guide et garde du corps par peur de perdre ses pigeons, de chasser les enfants devant l'indignation hypocrite de la femme qui commençait à s'inquiéter cependant de l'insistance des gamins en haillons.

Saly, c'est beau mais non merci. Très peu pour moi. Je préfère encore marcher.


Puis les villages s'enchaînent. Ngaparou s'impose bientôt. Aussi joli que Saly et tellement plus calme. Les palmiers cachent des villas roses ou blanches sur le dos de la falaise. Une mosquée trône au dessus des petits maisons du vieux village. Les jeunes jouent au foot sur la plage et je suis de retour au Sénégal.


Je traverse ensuite la lagune de La Somone. Littéralement. On me dit qu'il faut passer en pirogue, que c'est impossible autrement, qu'on ne peut pas continuer tout droit à pieds. Pas question de prendre une embarcation. Je suis têtu. Je dois passer absolument en marchant pour ne pas trahir mon défi. Je me mets en quête de bancs de sable et de zones peu profondes. Je trouve rapidement ce qu'il me faut.

Je me déshabille devant les mamas qui m'encouragent à tenter la traversée et celles qui me disent adieu. Le sac sur la tête, j'avance contre le faible courant, de l'eau jusqu'à la taille. En peu d'efforts, j'ai traversé la lagune. J'en profite pour observer les oiseaux nichés sur un petit îlot qui me rappelle inévitablement la Langue de Barbarie. C'est en fait une réserve naturelle que je suis en train de traverser en pataugeant ainsi. Sans guide et sans pirogue, je m'en tire pour trente minutes de séchage au bout du compte. Le jeu en valait la chandelle. D'autant que je suis passé en marchant, comme promis.


Après un peu plus de trente-cinq kilomètres de marche aujourd'hui, j'arrive finalement, le soir venu, à Poponguine, au détour d'un immense bloc de pierre rouge et jaune. Le village est adossé à la petite colline, encore une fois. Au sommet, entre les maisons à étages et les palmiers, je peux apercevoir la basilique tant convoitée.

Petite marche forcée entre les ruelles. J'en courrais presque, riant en gravissant les marches qui mènent à la partie haute du village. La grande croix se rapproche inlassablement jusqu'à se dresser face à moi, imposante d'enjeux.

Je l'ai fait. Je suis épuisé mais tellement heureux d'avoir réussi à délivrer les messages et les prières de chacun. J'ai une pensée pour tous. L'un après l'autre. Je revois des images de ma longue marche quand je ferme les yeux, tous les visages et tous les mots échangés de Fadiouth à Poponguine, là où j'achève ma retraite spirituelle.

Enfin presque...

Ecole Diamalaye

 

École primaire Diamalaye, Yoff, Sénégal. Mon groupe de gestion de projet a pris un rendez-vous avec la directrice pour ce matin. Sénégalaisement, cela veut dire que nous venons presque à l'heure, il ne faut pas exagérer non plus, pour attendre toute la matinée.

Assis à l'ombre je contemple la cour de récréation qui s'anime, un grand terrain de sable piqueté de quelques arbres. Tout autour, se trouvent les salles de classe. Le nom du professeur est inscrit à l'entrée sur un tableau noir desséché. Deux classes préparatoires. Deux classes de CE1. Deux classes de CE2. Deux classes de CM1. Deux classes de CM2. Le calcul est vite fait. Le compte est bon, c'est un déferlement d'enfants qui ne tarde pas à s'imposer face à la quiétude de l'endroit.

On dit que les classes françaises sont surchargées, qu'elles ne permettent pas un apprentissage idéal. Que dire alors des classes africaines ? Avec soixante élèves par cours, ce sont les professeurs qui sont dépassés. Des enfants plein les bras et des hurlements plein les oreilles, ils sont parés, fin prêt à partir en guerre après chaque tartine du matin. Sénégalaisement, les enfants n'arrivent pas non plus à l'heure, sortent de la salle, s'agitent dans tous les sens et crient en permanence pour se faire entendre de leur instituteur. Beaucoup plus que je ne saurais jamais endurer dans ma carrière d'enseignant.

Dans la cour de récréation, les jeux sont partout les mêmes, en revanche. La mondialisation ne pourra rien y faire, un ballon et quelques billes ou cailloux seront toujours légion aux quatre coins du globe, le combat est perdu d'avance. Et encore des cris, des rires et des pleurs qui vous renvoient dans votre enfance, des souvenirs plein la tête.

Tous en uniforme, les enfants ne sont qu'à peine surpris de me trouver là, au milieu d'eux. C'est plutôt la présence de mes étudiants qui les intrigue. Que font donc là ces grands enfants ? Sont-il des anciens de l'école ? Oui, dans le cas de Marème qui nous a obtenu le rendez-vous pour nous et qui deviendra porte-parole du groupe par la force des choses.


Après quelques temps, la directrice revient enfin dans son école. C'est une ancienne institutrice également, comme bien souvent. Du type de femme assez réservée mais qui en impose, elle nous accueille poliment dans son bureau. Sans fioritures.

Les présentations effectuées, je lui explique rapidement qui nous sommes, le rôle de l'association et l'intérêt de ce cours de gestion de projets pour nos étudiants. Bien vite, je m'éclipse derrières ces derniers pour les laisser exposer notre concept. Ils s'en sortent plutôt bien, d'autant que la directrice n'est pas difficile à convaincre. « Tous les projets qui servent l'éducation sont bons à prendre » me dira-t-elle à la fin de notre entretien.

Concrètement, nous envisageons de venir faire deux matinées de sensibilisation à l'importance de l'école, et surtout de la lecture, dans les classes de CM1 et CM2, durant la dernière semaine de mai. Au Sénégal, beaucoup d'enfants quittent l'école à ce moment charnière de la scolarité, juste avant l'entrée au collège. C'est la raison pour laquelle nous nous sommes appuyés sur une cible fragile mais attentive. Les plus jeunes seraient hermétiques à notre discours. Pour les plus grands, il seraient déjà trop tard. Au-delà de l'aspect sensibilisation qui prendra la forme de discours et de petits sketchs sur le thème de l'école, nous organiserons des tournois du type « génie en herbe ». Ce sont des concours de connaissance qui sont organisés ici assez fréquemment, même s'ils sont en principe réservés aux meilleurs éléments de chaque école. Pour nous, pas question de laisser les instituteurs sélectionner ceux qui auront le droit de participer à notre concours. Tout le monde sera de la partie. De même, tous les élèves seront récompensés de leur participation et recevront au moins une fourniture scolaire. Les meilleurs, quant à eux, recevront des livres ou des sac-à-dos. La prime à l'excellence allant de paire avec notre message « je veux aller et réussir à l'école ».

Le projet est rapidement présenté. La directrice n'a que peu de questions, ce qui déroute un peu mes étudiants qui s'attendaient à discuter davantage pour la convaincre. Ce ne sera pas la peine. Elle est favorable au projet et nous donne automatiquement sont accord pour organiser nos deux matinées. Elle réunira prochainement sont équipe pédagogique pour convenir des dates avec les professeurs.

Organiser un projet, peu importe son ampleur, ne nécessite souvent que de la bonne volonté et le souffle de chance suffisant pour tomber sur des personnes ouvertes d'esprit prêtes à laisser leur chance à des jeunes débordant d'idées. Une simple visite nous aura suffit pour obtenir ce que nous voulions : une école, les moyens matériels, le temps nécessaire et un sourire. Quoi de plus facile ?

Satisfait, si ce n'est fier, de mes étudiants, je quitte l'école Diamalaye avec un sentiment de devoir accompli. La première étape est passée. Il ne reste plus qu'à trouver le financement. À nous de rencontrer les partenaires et sponsors idéals pour mener à bien notre projet. Je laisse alors les cris des enfants, leurs rires et leurs pleurs derrière moi. Je laisse la cour de récréation, à présent vide, dans mon dos. Je me dis une dernière fois que l'éducation est vraiment la clé de tout, que tout passe définitivement par elle.

jeudi 2 avril 2009

Grande côte

 

Je reprends ma route à pieds sous une chaleur accablante. Il n'est pas midi mais sitôt qu'on entre dans les terres, l'air devient sec et le soleil ne pardonne pas. Je fais la course avec des charrettes tirées par des ânes devant un lac de sel teinté de reflets roses. Ça me rappelle vaguement quelque chose.

Je croise une foultitude d'écoliers en uniforme. Ils jouent sur la piste devant leur école, une boisson au bissap collée sur les lèvres. Quand ils en ont assez, ils jettent les emballages plastiques que les chèvres se font un plaisir de mastiquer pendant des heures sur cette grande table à festin perpétuel.

De Gandiol, je retourne à Saint-Louis, gare routière. J'attends deux longues heures qu'un Ndiaga Ndiaye se remplisse. Comme la situation est loin de tourner à mon avantage, je réoriente mes espoirs sur un mini-car, un peu plus cher mais plus rapide à remplir, en théorie. J'annule bien vite mes grandes ambitions et je dois me rabattre sur un taxi sept places. Deux heures pour combler les places et descendre à Kébémer, à une centaine de kilomètres au sud. J'en profite pour manger un mafé dans un boui-boui aux conditions d'hygiène plus que douteuse. La mama au moins est-elle souriante et chaleureuse.

De Kébémer, je prends la direction de la côte pour me rendre à Lompoul. Je ne connais pas la distance qui sépare les deux villes. Je demande à quelques passants de m'indiquer le kilométrage exact, ou assimilé, afin d'établir mon programme à venir : marche ou pas. Les gens ne peuvent me répondre, ne me comprennent pas, me disent simplement que c'est loin. C'est une borne sur le bord de la route qui me donnera l'information désirée : 34 km. Je pose aussitôt mon sac sous un grand baobab qui me procure l'ombre nécessaire à mon attente.

À peine ai-je le temps de boire une gorgée d'eau qu'un fourgon rempli de sac de grains pour le bétail s'arrête et le chauffeur me demande si je veux monter. La question ne se pose pas deux fois, je saute sur les sacs à l'arrière et je pique du nez malgré les secousses.


Lompoul. Lompoul-sur-mer pour être précis, avec ce côté sud de la France qui dénote la source d'inspiration flagrante. Le petit port charmant et la place du village sont hélas déjà altérés par la venue de gamins qui, du haut de leur six ans, tendent la main en demandant un cadeau, des bonbons et un stylo. Ils viennent avec un grand sourire et repartent en proférant des insultes. Je suis blasé, ce qui ne m'empêche pas d'être déçu.

Je suis venu à Lompoul pour voir ses dunes. Sur plusieurs kilomètres, de grandes dunes de sable, de type mauritaniennes, s'étalent le long de la mer. C'est une curiosité naturelle au Sénégal qui vaut le détour, si l'on en croit les guides touristiques. En réalité, ce ne sont pas les dunes auxquelles ont est en droit de penser. Des images de rallye plein la tête, je me figure tout autre chose que ce que j'aperçois en face de moi.

Les dunes de Lompoul ne sont pas de sable fin. Elles sont à tendance ocre dans les terres, ce qui ne les empêche pas d'être impressionnantes. Pour le reste, elles sont surtout tassées par la végétation galopante. On ne voit pas les dunes à vrai dire. Le relief est écrasé sous le poids des arbres et, plus intéressant, des champs agricoles. Les cultures de tomates, de choux et autres se multiplient.

Je fais la rencontre d'un cultivateur du village qui m'initie à l'agriculture sur sable. Je plante avec lui quelques oignons histoire de ne pas mourir idiot. Je suis surtout intrigué par l'irrigation qui semble parfaitement fonctionner ici alors que le pays tout entier est ravagé tous les ans par la sécheresse. Lompoul démontre, s'il était nécessaire, qu'il est possible de donner la vie à n'importe quel coin du globe, même à un désert, à force de bonne volonté.

En fin d'après-midi je m'installe dans un campement de villageois, dissimulé dans les dunes. Exactement ce dont j'ai besoin : du calme et de l'isolement. Je négocie un prix plus que correct pour une case et la nourriture avec le gérant qui a quitté Dakar il y a huit ans parce que la capitale n'est que bruit et folie. J'en conviens et l'homme paraît tout-à-fait intéressant. Hélas, quand un vendeur de projecteurs lui rend visite et qu'il a besoin d'argent, il s'énerve dans le vent et me demande plutôt mal de le payer illico. Je le rembarre en lui disant qu'il est aussi stressé que les gens de Dakar, qu'il ferait aussi bien d'y retourner. Il trépigne d'impatience devant ma sérénité. Je lui porte le coup de grâce en lui disant que s'il me parle mal, je vais trouver un autre campement sur le champ. L'homme se confond alors en excuses, me demande de lui pardonner, mais il ne veut surtout pas manquer l'occasion d'acheter sa camelote made in china.

La situation s'apaise mais je sais dores et déjà que je n'ai pas frappé à la bonne porte. Pour une fois que je décide de jouer le touriste en payant une nuit dans un campement, histoire de faire marcher l'économie locale, j'ai tiré la mauvaise pioche.

Je passe ma soirée au coin du feu à regarder des braises se consumer une à une. Il fait vraiment froid après la tombée du jour et le feu de bois n'est pas de top. La famille du gérant arrive bientôt et personne ne s'inquiète de ma présence. On ne me voit pas. On parle wolof du début à la fin. Amoul solo. Quand le dîner est prêt, le gérant, qui ne deviendra décidément pas un ami, me déclare que je dois manger plus loin, où l'on ma dressé une table. La famille mangera après.

Qu'il en soit ainsi. Je ne suis pas dans un campement de villageois mais dans un hôtel à touristes parasites. Je suis un paria, un pestiféré. Je suis choqué, c'est la première fois que je vais manger seul depuis que je suis en Afrique. D'habitude, tout le monde m'invite à partager le même plat alors qu'ici je dois manger dans mon coin, comme un chien. Je prends cette attitude pour une insulte, avale mon plat et pars me coucher.

Le lendemain, j'exprime le fond de ma pensée au gérant qui ne sait plus ou se mettre. C'est déjà ça. Je garde toutefois un goût amer de ce passage à Lompoul à cause de ce grand type qui n'est pas venu ici pour le calme mais pour la manne financière que cela représente. Tout le reste n'est que salamalecs. Encore une fois, il se confond en excuses et le petit-déjeuner sera beaucoup plus chaleureux. On m'offrira finalement une bouteille d'eau minérale pour la route. L'hospitalité serait-elle de retour après s'être fait secouée un instant ?


Kébémer à nouveau, pour retrouver la nationale, puis Tivaouane, beaucoup plus au sud. Là je vais observer la grande mosquée en travaux, grand lieu de culte en devenir. Les ruelles qui l'entourent ressemblent à celles de Yoff. Les pieds dans le sable, accompagné par des chèvres et des cris d'enfants, à moins que ce ne soit l'inverse, je déambule au hasard pendant une heure ou deux. On m'invite à boire le thé comme il se doit et je retrouve le sourire.

Je monte dans un Ndiaga Ndiaye qui me conduit dans le milieu de l'après-midi vers M'boro. M'boro-sur-mer. Je fais la route avec Ibrahima qui habite le village et me parle de la religion musulmane avec enthousiasme. Il l'est moins quand il s'agit des femmes qui pratiquent l'adultère à tout-va selon lui.

    • Elles n'ont rien à faire de leur journée alors forcément... dès qu'on travaille, elle vont voir un autre homme.

C'est tellement évident quand c'est aussi simple que ça, n'est-ce pas ? L'homme fait alors l'apologie du modèle européen.

    • Une seule femme, ça suffit. Si elle t'aime, tu n'en as pas besoin d'une autre. En plus, ça coûte cher une femme. Il faut l'entretenir...

Je jubile intérieurement. L'entendre est un ravissement pour les oreilles et les zygomatiques. Son frère vient également de se marier, sans être présent à son mariage puisque, de fait, il est en France en ce moment. Il aura le droit à une belle surprise à son retour. Du moins peut-on lui souhaiter...

Nous arrivons à M'boro où j'aide un vieil homme à réparer un vélo antédiluvien, préhistorique. Je me pose quelques temps sur la plage de pêche où les hommes tirent les pirogues, de retour de mer. Les femmes commencent alors leur manège et la criée s'organise. Les chevaux se ruent vers ce qui devient vite le marché du port et apportent leur lot d'acheteurs potentiels sur leur charrettes. Les filets sont bien remplis et les pirogues toujours aussi colorées. De bleu et de jaune essentiellement, une phrase à la gloire de Dieu et quelques portraits de marabouts peints sur les flancs pour les plus inspirées.

Lorsque tout se calme enfin, il ne reste plus que l'océan et moi. Il ne peut en rester un et ça ne peut être moi dans ce combat joué d'avance. Je me retire alors, vaincu mais pas perdant, et reprends la direction de la capitale, laissant la grande côté et le nord derrière moi.

mardi 31 mars 2009

Langue de Barbarie

 

Mon chemin me mène vers Gandiol puis Mouit, sur la Langue de Barbarie, une grande bande de sable séparant l'océan du fleuve Sénégal sur une vingtaine de kilomètres. C'est ainsi que je décide d'aborder ma descente de la grande côte qui s'étend jusqu'à Kayar, deux cent kilomètres plus au sud.

À force d'errer sur le sable, je suis vite rejoint par un Touareg. Quoi de plus normal ? Mon Touareg est un Peul, ce qui explique sa couleur très claire pour un Sénégalais. Il est nomade, bien entendu. En me voyant vagabonder ainsi, il s'est sûrement dit qu'il avait trouvé un confrère, un collègue de baroud.

    • Que fais-tu là, me demande-t-il ?

    • Je marche.

    • Tu vas où ?

    • Devant moi.

Mon touareg me regarde avec curiosité. Quel est cet étrange touriste sorti de nul part, semble-t-il s'interroger intérieurement ?

    • Tu sais où dormir ce soir, finit-il par me lancer avec un sourire ?

    • Pas la moindre idée.

    • Alors suis-moi, je vais te trouver une maison où passer la nuit.

C'est ainsi que je fais un bout de route avec mon nouvel ami à travers de minuscules hameaux où les gens s'étonnent de me voir accompagner cet étrange homme vêtu de bleu. Ou bien s'étonnent-ils justement de voir le Peul conduire un Toubab dans un coin si paumé, si loin des campements touristiques, où seules quelques chèvres s'égarent quelques fois ?

Mon compagnon de route s'appelle Claude. Il vend quelques « antiquités » dans le Parc National de la Langue de Barbarie que je dois visiter demain. Là-bas, on le surnomme Clo-Clo, ça ne s'invente pas. Il s'est installé ici depuis quelques années mais ne compte pas s'éterniser. Mon Touareg déborde de projets. Il veut créer un cyber-café. Il veut ouvrir un campement touristique. Il rêve de commercialiser des boissons bio à moindre coût. Il ne s'arrête pas. C'est un doux rêveur, la cinquantaine déjà atteinte, le seuil de pauvreté loin de l'être, en revanche. L'homme est bon, très cultivé mais un peu naïf quant aux réalités économiques. Rêver ne coûte rien du reste et il ne s'en prive pas.


Nous arrivons devant la maison d'Ibrahim. Le vieil homme est assis dans le sable. Il répare une corde, assemblage fragile de morceaux récupérés de petites ficelles diverses. Tendue autour de son gros orteil meurtri par le soleil et le sable, la corde brinquebalante exprime son indocilité. Derrière lui, un mur gris décoré de jolies fenêtres bleues dissimule la pauvreté familiale.

Claude va saluer le vieil homme et lui demande s'il est possible de m'accueillir cette nuit dans sa demeure. Ibrahim ne se pose même pas la question : la réponse est évidente. On m'indique alors une pièce vide où je dépose mes affaires. Un matelas, bientôt suivi d'un drap, fait son apparition dans la pénombre de ce qui sera bientôt ma chambre pour la nuit. Seule femme de la maison, la petite-fille d'Ibrahim, se met en quatre pour honorer la réputation de la famille. Rien ne saurait me décevoir face à toute cette générosité et cette bienveillance de toutes façons. Il faudrait être extrêmement pointilleux pour trouver à y redire. Ou juste sans cœur.

La vie du quartier s'étale peu à peu devant moi, à présent installé sur le sable, à côté du vieil homme. Je regarde les enfants jouer aux billes et les rapaces dévorer quelques restes. Un pêcheur retourne chez lui, un panier à moitié rempli pour nourrir sa famille bienheureuse. Le vent soulève encore des bourrasques de sable ; la nuit s'annonce très fraiche. Je m'éclipse discrètement pour observer le coucher du soleil sur la Langue de Barbarie.


À mon retour, je bavarde un peu avec Claude. On branche le groupe électrogène pour une heure, le temps de dîner une omelette délicieuse devant le journal télévisé, le poste branché sur la chaîne nationale « RTS ». On n'y parle que des élections. Le président Wade est en pleine campagne, tout le monde l'acclame sur son passage. Tout le monde semble l'aimer et le glorifier. C'est une chaîne nationale, ça ne fait aucun doute. Une semaine plus tard, il recevra une cinglant revers après dépouillement des urnes. La propagande n'a pas suffi, pas plus que le rachat des cartes d'électeurs et autres procédés douteux.

Ibrahim et Claude sont méfiant à l'égard du président. J'entends ici le même discours que dans toutes les familles aux revenus modestes. Wade construit des infrastructures. Beaucoup de routes. C'est bien mais ça ne fait pas manger. Mange-t-on du goudron ? Le constat est identique partout. La crise a frappé ici aussi. Elle a frappé fort. Le sac de riz a plus que doublé depuis l'arrivée au pouvoir de Wade. Le sucre, le lait, connaissent le même sort. Les familles pauvres ont du mal à s'en sortir.

Malgré les difficultés, l'accueil et l'hospitalité règnent en maîtres partout dans le pays. Je m'en aperçoit encore davantage dans cette maison qui ne peut se permettre de faire fonctionner l'électricité qu'une heure par jour, qui n'a ni gaz ni eau courante et qui, pourtant, m'ouvre ses portes naturellement. On dit que ce sont ceux qui ont le moins qui donnent le plus car ce sont les plus riches. J'en reconnais la véracité jour après jour.

Après le dîner, Claude me laisse car il doit partir dans un village voisin, le temps de nourrir ses oies. Je lui demande :

    • Ton village est loin ?

    • Non, non. Tout près.

    • C'est-à-dire ? Je connais le « non » sénégalais !

    • Cinq kilomètres.

Soit une bonne heure de marche pour s'y rendre alors que la nuit est tombée. Il lui faudra ensuite effectuer se besogne avant de revenir ici pour dormir. L'homme est courageux et il démontre ses capacités de marcheur. Que devais-je attendre d'autre de la pat d'un Touareg ?

Je ne tarde pas plus longtemps à aller me coucher. Je vis avec le soleil partout où je me rends. D'autant plus dans les villages sans électricité où on gagne à vivre en harmonie avec le jour.


Après une bonne nuit de sommeil, je remercie chaleureusement mes hôtes en oubliant malencontreusement un billet, posé bien en évidence dans la chambre. Des enfants avec qui j'ai fait un peu de lutte la veille sont déjà dans le sable à jouer alors qu'il n'est pas huit heures du matin.

Je me rends directement au Parc National de la Langue de Barbarie voisin. Mais voilà, je suis au Sénégal et on a beau annoncer et afficher partout que le parc ouvre à sept heures, il n'en est rien. Ou plutôt si. Le parc est bien ouvert. J'y entre le plus facilement du monde. Je prends quelques photos. Je finis enfin par finir ma nuit près du guichet vide.

À neuf heures trente, un gardien du parc vient enfin.

    • Vous n'avez pas vu de piroguier ?

    • Non. En fait, vous êtes le premier.

L'homme en treillis et grosse bottes de cuir montantes grogne un peu, puis peste contre les piroguiers qui travaillent à leur compte en société privée mais ne sont jamais là.

Je pensais que le parc était un grand lieu de tourisme au Sénégal ; il n'en est rien. Je serais sans doute le seul visiteur de la journée. Quand il y a quatre personnes par jour, ça tient déjà du miracle à cette période de l'année, m'avertit le gardien. Avec la crise, les touristes préfèrent les plus grandes réserves du pays. En réduisant leur séjour, me dit-il aussi, ils ont tout simplement rayé la Langue de Barbarie de leur programme.

Le gardien appelle le piroguier prévu pour aujourd'hui, puisqu'ils travaillent à tour de rôle, et m'invite à venir prendre le thé. Finalement le thé s'éternise et se transforme en petit déjeuner, suivi d'un nouveau thé saupoudré de diverses discussions sur la condition féminine et l'adultère en particulier. La cuisinière rigole dans son coin. Elle ne dit rien mais n'en pense pas moins. Lorsque le piroguier arrive enfin, il lui faut encore prendre son thé et son petit-déjeuner. « Amoul solo », il n'y a pas de soucis. Je ne suis pas pressé.


La Langue de Barbarie est une zone idéale pour observer les oiseaux migrateurs. La biosphère est extrêmement riche sur le fleuve Sénégal, à deux pas de l'océan. L'île qui trône au milieu du fleuve, « l'île aux oiseaux », est le paradis des volatiles qui viennent pondre ici chaque année à la même période, celle-si étant différente selon les espèces.

J'observe ainsi de très près des pélicans, des aigrettes, des hérons cendré, des cormorans à bec rouge ou des mouettes à tête grise, les plus agressives, prêtes à protéger leur territoire s'il le faut. Je ne suis pas un expert en ornithologie mais le spectacle est impressionnant, même pour un novice. Le rassemblement de ces populations est si dense pour un si petit bout de sable, le bruit si assourdissant quand on se rapproche, que c'en est déroutant.

La balade en pirogue, elle aussi, est des plus agréables. On se pose bientôt sur la langue pour franchir les quelques dunes de sable qui nous séparent de l'océan. Là, je joue avec des crabes craintifs, peu habitués aux visiteurs. En reprenant la route, au gré du courant, on prend une embarcation en stop. Pirogue-stop. J'apprécie le concept.

La Langue de Barbarie que je quitte bientôt, sans être à couper le souffle, demeure un endroit assez unique ou la biodiversité se doit d'être protégée. Or, le site est menacé par la stupidité de quelques hommes politiques qui n'ont pas tenu compte des protestations des écologistes. Ils ont tout simplement ouvert la bande de sable sur plusieurs mètres, il y a de ça quelques années, pour éviter à Saint-Louis d'être inondée. Aujourd'hui, le trou est devenue une ouverture béante sur l'océan. Plusieurs centaines de mètres à présent. Non seulement Saint-Louis n'est pas à l'abri, mais cette toute la biosphère qui a été perturbée. La brèche est devenue la nouvelle embouchure du fleuve et la Langue de Barbarie pourrait disparaître. Fin de l'exposé. Il n'y a rien à ajouter.


Avant de partir tout-à-fait, je rends visite une nouvelle fois à Claude. On parle de ses projets. Il est fascinant. Il me confit qu'il a réfléchi toute la nuit à une phrase que je lui ai dite hier. Je m'étonne.

    • Tu m'as dit : « Le plus important, c'est la volonté ».

La phrase qui me semble, aujourd'hui encore, des plus anodines l'a profondément marqué me jure-t-il. Il m'assure que la clé est là et qu'il a beaucoup appris de moi. Je ne sais pas où me mettre, ce qui ne m'empêche pas de persister et de signer dans mes propos. C'est bien la volonté qui me conduit, pas après pas.

Je le quitte un peu plus tard après de longues poignées de main pleines de respect. Une longue route m'attend encore. Je garderai longtemps l'image de cet homme au ruban bleu et à l'esprit si bouillonnant.

Saint-Louis

 

Levé avec le soleil comme à l'accoutumée, j'enfile mon sac sur le dos et je pars pour le centre de Dakar. « Pompiers », d'après l'appellation des habitants, c'est le lieu de rendez-vous pour tous les départs lointains en taxi-brousse, mini-cars ou ndyaga ndiaye. Gare routière à l'africaine avec ce que cela comporte comme complications, c'est surtout un lieu grouillant de vie et un passage obligé pour tous les voyageurs qui bourlinguent par leurs propres moyens.

Ici, l'attente est longue, au-delà de la normale, ce qui n'est pas anodin. Une fois la destination annoncée à une pelletée de chauffeurs et rabatteurs en tous genres, on nous indique les véhicules envisagés et on nous fourre dedans. Ce serait hélas une erreur de penser que le tour est joué à ce moment précis. En effet, la loi ultime de toute gare routière est la patience extrême de chaque individu. Je me retrouve ainsi à attendre un peu plus de deux heures que mon mini-car se remplisse avant de pouvoir partir pour le nord du pays. Deux heures, assis sur le même siège de car sans avancer d'un centimètre, c'est pesant, à la limite de la torture mentale. On sait pourtant que c'est la règle du jeu, qu'il en va toujours de même pour chaque déplacement dans le pays, qu'on ne sait jamais exactement combien de temps il faudra avant de quitter ce maudit parking qui nous sort par les yeux. Passée la première heure à contempler amèrement les 7 places qui quittent péniblement la foule d'ambulants accrochés aux portières pour vendre une carte téléphonique, des fruits ou des lunettes de soleil, on ne trouve simplement plus aucune occupation et on s'isole du monde, écouteurs branchés aux oreilles, en priant pour que personne n'allume la radio.

Deux heures à patienter pour trouver dix-huit personnes au total pour remplir les dix-huit places du mini-car. Pas question de partir avec un siège vide, la rentabilité est poussée à l'extrême, naturellement. Quand le dernier passager arrive enfin, c'est presque une ovation qui lui est faite. On a envie de l'embrasser pour le remercier chaleureusement d'avoir eu la bonne idée d'avoir la même idée que nous.

Je décolle donc enfin de Dakar avec une Mama qui tente encore de me vendre les cacahuètes

de la dernière chance et frôle de près la chute quand nous prenons de la vitesse. À mes côtés, quelques joueurs de foot, quelques femmes sur leur trente-et-un et deux anciens qui se disputent le respect de l'autre auprès de l'ensemble des passagers. Le vainqueur est un grand type maigre qui passera l'intégralité du voyage à draguer une jeune étudiante de Dakar que le respect empêche de devenir désagréable avec le patriarche. Pour moi, c'est juste répugnant.

La route du nord est assez agréable en revanche. Un véritable billard à partir de Thiès. Derrière les fenêtres, je croise quelques villages disséminés. Ce n'est pas la petite côte, assurément. Il faut bien attendre quinze kilomètres avant de trouver le signe de vie suivant dans ces immenses étendues de sables et de baobabs.

À partir de Kébémer, les baobabs laissent leur place aux palmiers. Le paysage se vallonne quelque peu, juste le temps de croire qu'il existe un relief au Sénégal, cet autre plat pays. Les petits villages rencontrés me montrent presque toujours le même visage. Celui d'une regroupement d'habitations fragiles le long de la nationale, source de richesse permanente, qui voit défiler touristes comme chefs d'états. Les gens sont là, assis sous l'ombre des arbres, et passent le temps à discuter, surtout les hommes, tandis que les femmes vont puiser l'eau très profondément et transportent des charges impressionnantes sur leur crâne suant. La vie se déroule au ralenti comme dans le reste du pays alors que l'excuse de la chaleur n'est pas encore d'actualité en ce frais mois de mars. Quelques troupeaux de chèvres ou de buffles viennent parfois troubler la quiétude de ces places trop paisibles d'un raclement gauche, venant perturber l'inactivité des hommes. Un coup de fouet les rappelle à l'ordre en claquant leurs flancs maigres. Je poursuis ma route.


Saint-Louis. Je pose le pied dans l'ancienne capitale. C'était le cas jusqu'en 1958 et l'indépendance du Sénégal. C'est un saut en arrière dans le temps. Pas de cinquante ans mais d'un bon siècle bien tassé. L'empreinte coloniale est une marque au fer rouge sur les murs de la ville. Les maisons portent le poids de l'Histoire. Fenêtres et balcons n'en finissent plus de rappeler la vieille France. Laissée à l'abandon, Saint-Louis dénigre peu à peu ses couleurs pastelles sous la lourdeur fatale de son âge.

La nouvelle ville s'étend loin de là, sur le continent où tout est plus récent, où tout est sénégalais. Sur l'île et sur la langue de Barbarie, c'est le vieux Saint-Louis, celui du colonialisme et des Français alors peu importe qu'il parte en poussière. Seule l'Unesco semble y tenir plus que de raison et s'efforce de le sortir de son long sommeil pour le remettre sur pieds.

Qu'il fait pourtant bon flâner dans ses rues aux noms d'écrivains ou sur ses quais chargés de pirogues multicolores. Sous l'ombre d'un palmier, une femme lave le linge de la maison quand une chèvre allaite son petit devant moi. Un âne passe et me dévisage en croisant une boulangerie qui déverse ses odeurs de pain frais dans tout le quartier.

Le vieux Saint-Louis est un petit village, un îlot transformé en havre de paix en comparaison de la nouvelle capitale, folle et bruyante. Ici ou là, on trouve encore un vestige de l'aéropostale ou une garnison tranquille au coin d'une rue, non loin du Pont Feidherbe construit par Eiffel. Je m'y ressource volontiers en oubliant rapidement les petites tracasseries de Dakar. Une grande bouffée d'oxygène avant de poursuivre ma route.

lundi 16 mars 2009

Baptême musulman

 

Visage autrement plus ouvert de l'Islam avec aujourd'hui le baptême de l'enfant de la meilleure amie de notre cuisinière. Autant dire la famille proche. Nous sommes tous conviés aux festivités et nous nous parons, hommes comme femmes, de nos plus beaux attraits. Je me costume d'un boubou orange foncé pour l'occasion, avec des broderies jaunes au niveau de la poitrine. De temps à autres, accoutré d'un chapeau blanc de pratiquant layène que Bou m'enfonce sur le crâne, je passe pour un vrai Musulman.

Nous nous présentons donc devant la maison des parents du petit Djibril, un ange Gabriel descendu au Sénégal. Le père nous reçoit chaleureusement, nous serre la main à tous et prend les nouvelles attendues de la famille, la santé, le troupeau de chèvres, etc. On nous fait asseoir dans une grande pièce du rez-de-chaussée. On nous apporte ensuite des chaises pour que l'attente soit plus confortable. Si les Sénégalais sont tous assis, c'est que l'attente sera longue à n'en pas douter, alors on accepte volontiers la chaise qu'on nous tend.

A l'extérieur, sous des grandes bâches tendues, une centaine d'autres convives attend aussi la suite des évènements. Tous jouent aux cartes, parlent de la famille et surtout boivent le thé. Avec les invités plus ou moins officiels que la maison peut contenir, nous sommes peut-être deux cents à cette fête. C'est un grand baptême visiblement.

En fait, je ne comprends pas exactement quand à eu lieu la cérémonie religieuse. On m'annonce tantôt que c'était ce matin à onze heures, tantôt que c'était il y a deux mois déjà. L'essentiel n'est pas là. Tout le monde est à présent réunis pour les festivités d'après baptême, un moyen de réunir toute la famille et les amis et de montrer qu'on sait recevoir. Nous sommes au pays de l'hospitalité et il est de bon ton de parfaitement accueillir une foule d'invités connus ni d'Ève ni d'Adam.

Alors le père se démène comme un beau diable pour que personne ne manque de rien. Une table ? Une chaise ? Un thé ? Il a tout ce que vous voulez à portée de mains. Il doit d'ailleurs s'occuper de tout, tout seul, puisque la mère et ses copines ne sont toujours pas revenues de chez le coiffeur. Il est quatorze heures.

Seuls blancs à l'horizon, nous bénéficions d'un traitement de faveur supplémentaire. On nous fait l'honneur de nous présenter l'homonyme de l'enfant. Non, rien de particulier, si ce n'est que l'homme porte le même prénom que le dernier-né.

Et puis comme nous commençons à trouver le temps longs, nous ne sommes pas Français pour rien, nous entamons à notre tour une partie de cartes. Par un coup du sort, je me retrouve à jouer à la belote avec un coéquipier sénégalais qui n'a visiblement pas saisi toutes les subtilités du jeu. En fait, c'est les bases qu'il devrait revoir. Peu importe la couleur de l'atout, peu importe les cartes qu'il a en main, il prend à chaque fois et nous voilà dans un challenge quasi impossible à relever à chaque partie. Ici, pas d'annonce. Pas de belote et rebelote, pas plus que de dix de der. Bou tente même une variante lorsqu'il décide de prendre à « sans ». La partie consiste alors à jouer sans les atouts. L'as est la carte la plus forte à toutes les couleurs. J'ai tous les as et les dix dans mon jeu, ou peu s'en faut, il se prend un capot. Merci pour la variante.

Le repas est enfin servi. Il est seize heures. Des dizaines de plateaux de Thiebou Djène circulent bientôt à l'intérieur comme à l'extérieur, au-dessus des têtes des invités. Autant de petits cercles se forment pour déguster le plat national d'un seul élan. Avec la faim qui me tiraille en permanence, je me lève très tôt et l'attente avant le déjeuner est toujours interminable, j'ai l'impression de passer pour un mort-de-faim à chaque bouchée. J'ai un peu honte de ma voracité mais comme tout le monde y va de bon cœur pour taper dans le plat, je ne m'accuse d'aucun remords plus de trois secondes, le temps de prendre ma fourchette et de souhaiter « bismilah » à mes partenaires de tablée.

Après le repas expédié, un jus de bissap en guise de dessert, nous reprenons nos habitudes de cartes et de thé quelques temps. Le temps qu'il faut aux femmes du groupe pour annoncer qu'elles souhaitent se retirer à l'appartement pour enfiler leur seconde tenue de la journée, celle de la soirée. À la pointe de la coquetterie, elles sont parfaitement dans l'esprit sénégalais du jour et passent pour des femmes très élégantes ce qui est bien vu. Cela me sauve, personnellement, des parties de belote avec mon coéquipier qui n'abandonne pas aussi facilement ses mauvaises habitudes et nous entraîne inévitablement dans une spirale de défaites à laquelle je ne suis pas mentalement préparé.


Nous reprenons la route des festivités vers vingt heures. La rue est bloquée par l'immense rassemblement de la famille et des amis autour d'un groupe de percussions. À bien y regarder, c'est un rassemblement de femmes exclusivement. Je suis presque le seul homme de l'assistance. Même le père de l'enfant n'assiste pas à cette partie de la cérémonie.

Des femmes viennent tour à tour se désarticuler devant les djembés et passent aussitôt le relais à une autre, toute aussi sautillante. Dix secondes tout au plus par personne, le temps de lever la jambe deux ou trois fois en secouant sa jolie robe de soirée et de repartir s'asseoir à sa place en sautant, entre gêne et fierté d'être passée devant tout le monde. On me raconte que lorsque les cérémonies s'éternisent, les femmes vont parfois danser jusqu'à épuisement. Certaines femmes entrent soudain en transe et tombent comme des mouches, inconscientes, sur le sol. Rien de tout cela ce soir, l'ambiance est bon enfant et l'on salue encore et toujours la mère de l'enfant qui n'en finit plus d'entrer et de sortir du cercle pour serrer des mains.

À côté d'elle, on trouve ses amies proches, dont Awa, toutes habillées en blanc. Dans les premiers rangs du cercle, on trouve aussi les co-épouses en bleu. Autres femmes du même mari ou plus souvent épouses des frères et demi-frères, on les rassemble sous la même étiquette de co-épouses ce qui permet de les reconnaître au premier coup d'œil. En rose, viennent ensuite les tantes, etc. Le code couleur est fondamental. Rien n'est laissé au hasard.

Un peu plus tard dans la soirée, nous sommes invités à nous restaurer de nouveau à l'intérieur de la maison, sous la tutelle bienveillante du père qui continue de tout organiser dans l'ombre des femmes, une fois n'est pas coutume. Mouton à l'os accompagné de frites et de salade, sauce aux petits oignons. Nous faisons encore une fois la misère aux plats qu'on nous propose. Awa s'occupe de nous à merveille si bien qu'elle en oublie parfois de nous laisser pour rejoindre ses amies. Il faut la pousser pour qu'elle retrouve sa meilleure amie, star d'un soir. Mais voilà, accueil et hospitalité sont maîtres mots au Sénégal, difficile d'aller à leur encontre.

Nous assistons en fin de soirée à la remise des cadeaux. Une fois de plus, la caméra immortalise l'évènement. Elle n'aura rien manqué de la cérémonie, du début à la fin. Toute l'assistance aura été filmée en long, en large et surtout en travers, car le cadreur n'est pas des plus stables. Il éclaire chaque scène avec son mini projecteur fixé sur son épaule ; de quoi nous aveugler à chaque fois qu'il réalise que des Toubabs sur la bobine serait une bonne idée.

Nous quittons finalement la fête après quelques photos prises en compagnie d'Awa, petite mère pour nous, qui nous a ouvert les portes de ces célébrations surprenantes, en plein cœur de Yoff village, là où nous vivons mais dont nous ne connaîtrons vraisemblablement jamais les codes et les rouages à la perfection.