lundi 16 mars 2009

Baptême musulman

 

Visage autrement plus ouvert de l'Islam avec aujourd'hui le baptême de l'enfant de la meilleure amie de notre cuisinière. Autant dire la famille proche. Nous sommes tous conviés aux festivités et nous nous parons, hommes comme femmes, de nos plus beaux attraits. Je me costume d'un boubou orange foncé pour l'occasion, avec des broderies jaunes au niveau de la poitrine. De temps à autres, accoutré d'un chapeau blanc de pratiquant layène que Bou m'enfonce sur le crâne, je passe pour un vrai Musulman.

Nous nous présentons donc devant la maison des parents du petit Djibril, un ange Gabriel descendu au Sénégal. Le père nous reçoit chaleureusement, nous serre la main à tous et prend les nouvelles attendues de la famille, la santé, le troupeau de chèvres, etc. On nous fait asseoir dans une grande pièce du rez-de-chaussée. On nous apporte ensuite des chaises pour que l'attente soit plus confortable. Si les Sénégalais sont tous assis, c'est que l'attente sera longue à n'en pas douter, alors on accepte volontiers la chaise qu'on nous tend.

A l'extérieur, sous des grandes bâches tendues, une centaine d'autres convives attend aussi la suite des évènements. Tous jouent aux cartes, parlent de la famille et surtout boivent le thé. Avec les invités plus ou moins officiels que la maison peut contenir, nous sommes peut-être deux cents à cette fête. C'est un grand baptême visiblement.

En fait, je ne comprends pas exactement quand à eu lieu la cérémonie religieuse. On m'annonce tantôt que c'était ce matin à onze heures, tantôt que c'était il y a deux mois déjà. L'essentiel n'est pas là. Tout le monde est à présent réunis pour les festivités d'après baptême, un moyen de réunir toute la famille et les amis et de montrer qu'on sait recevoir. Nous sommes au pays de l'hospitalité et il est de bon ton de parfaitement accueillir une foule d'invités connus ni d'Ève ni d'Adam.

Alors le père se démène comme un beau diable pour que personne ne manque de rien. Une table ? Une chaise ? Un thé ? Il a tout ce que vous voulez à portée de mains. Il doit d'ailleurs s'occuper de tout, tout seul, puisque la mère et ses copines ne sont toujours pas revenues de chez le coiffeur. Il est quatorze heures.

Seuls blancs à l'horizon, nous bénéficions d'un traitement de faveur supplémentaire. On nous fait l'honneur de nous présenter l'homonyme de l'enfant. Non, rien de particulier, si ce n'est que l'homme porte le même prénom que le dernier-né.

Et puis comme nous commençons à trouver le temps longs, nous ne sommes pas Français pour rien, nous entamons à notre tour une partie de cartes. Par un coup du sort, je me retrouve à jouer à la belote avec un coéquipier sénégalais qui n'a visiblement pas saisi toutes les subtilités du jeu. En fait, c'est les bases qu'il devrait revoir. Peu importe la couleur de l'atout, peu importe les cartes qu'il a en main, il prend à chaque fois et nous voilà dans un challenge quasi impossible à relever à chaque partie. Ici, pas d'annonce. Pas de belote et rebelote, pas plus que de dix de der. Bou tente même une variante lorsqu'il décide de prendre à « sans ». La partie consiste alors à jouer sans les atouts. L'as est la carte la plus forte à toutes les couleurs. J'ai tous les as et les dix dans mon jeu, ou peu s'en faut, il se prend un capot. Merci pour la variante.

Le repas est enfin servi. Il est seize heures. Des dizaines de plateaux de Thiebou Djène circulent bientôt à l'intérieur comme à l'extérieur, au-dessus des têtes des invités. Autant de petits cercles se forment pour déguster le plat national d'un seul élan. Avec la faim qui me tiraille en permanence, je me lève très tôt et l'attente avant le déjeuner est toujours interminable, j'ai l'impression de passer pour un mort-de-faim à chaque bouchée. J'ai un peu honte de ma voracité mais comme tout le monde y va de bon cœur pour taper dans le plat, je ne m'accuse d'aucun remords plus de trois secondes, le temps de prendre ma fourchette et de souhaiter « bismilah » à mes partenaires de tablée.

Après le repas expédié, un jus de bissap en guise de dessert, nous reprenons nos habitudes de cartes et de thé quelques temps. Le temps qu'il faut aux femmes du groupe pour annoncer qu'elles souhaitent se retirer à l'appartement pour enfiler leur seconde tenue de la journée, celle de la soirée. À la pointe de la coquetterie, elles sont parfaitement dans l'esprit sénégalais du jour et passent pour des femmes très élégantes ce qui est bien vu. Cela me sauve, personnellement, des parties de belote avec mon coéquipier qui n'abandonne pas aussi facilement ses mauvaises habitudes et nous entraîne inévitablement dans une spirale de défaites à laquelle je ne suis pas mentalement préparé.


Nous reprenons la route des festivités vers vingt heures. La rue est bloquée par l'immense rassemblement de la famille et des amis autour d'un groupe de percussions. À bien y regarder, c'est un rassemblement de femmes exclusivement. Je suis presque le seul homme de l'assistance. Même le père de l'enfant n'assiste pas à cette partie de la cérémonie.

Des femmes viennent tour à tour se désarticuler devant les djembés et passent aussitôt le relais à une autre, toute aussi sautillante. Dix secondes tout au plus par personne, le temps de lever la jambe deux ou trois fois en secouant sa jolie robe de soirée et de repartir s'asseoir à sa place en sautant, entre gêne et fierté d'être passée devant tout le monde. On me raconte que lorsque les cérémonies s'éternisent, les femmes vont parfois danser jusqu'à épuisement. Certaines femmes entrent soudain en transe et tombent comme des mouches, inconscientes, sur le sol. Rien de tout cela ce soir, l'ambiance est bon enfant et l'on salue encore et toujours la mère de l'enfant qui n'en finit plus d'entrer et de sortir du cercle pour serrer des mains.

À côté d'elle, on trouve ses amies proches, dont Awa, toutes habillées en blanc. Dans les premiers rangs du cercle, on trouve aussi les co-épouses en bleu. Autres femmes du même mari ou plus souvent épouses des frères et demi-frères, on les rassemble sous la même étiquette de co-épouses ce qui permet de les reconnaître au premier coup d'œil. En rose, viennent ensuite les tantes, etc. Le code couleur est fondamental. Rien n'est laissé au hasard.

Un peu plus tard dans la soirée, nous sommes invités à nous restaurer de nouveau à l'intérieur de la maison, sous la tutelle bienveillante du père qui continue de tout organiser dans l'ombre des femmes, une fois n'est pas coutume. Mouton à l'os accompagné de frites et de salade, sauce aux petits oignons. Nous faisons encore une fois la misère aux plats qu'on nous propose. Awa s'occupe de nous à merveille si bien qu'elle en oublie parfois de nous laisser pour rejoindre ses amies. Il faut la pousser pour qu'elle retrouve sa meilleure amie, star d'un soir. Mais voilà, accueil et hospitalité sont maîtres mots au Sénégal, difficile d'aller à leur encontre.

Nous assistons en fin de soirée à la remise des cadeaux. Une fois de plus, la caméra immortalise l'évènement. Elle n'aura rien manqué de la cérémonie, du début à la fin. Toute l'assistance aura été filmée en long, en large et surtout en travers, car le cadreur n'est pas des plus stables. Il éclaire chaque scène avec son mini projecteur fixé sur son épaule ; de quoi nous aveugler à chaque fois qu'il réalise que des Toubabs sur la bobine serait une bonne idée.

Nous quittons finalement la fête après quelques photos prises en compagnie d'Awa, petite mère pour nous, qui nous a ouvert les portes de ces célébrations surprenantes, en plein cœur de Yoff village, là où nous vivons mais dont nous ne connaîtrons vraisemblablement jamais les codes et les rouages à la perfection.

5 commentaires:

  1. Je quitte mon poste TV où "the story of India" me scotchait les yeux, complètement fasciné par cette belle épopée. Un instant de repos dans ma léthargie, je replonge vers un autre écran pour enfin être appelé par tes histoires. Ce n'est pas seulement que la grisaille d'un dimanche parisien me donne davantage l'envie de vivre virtuellement. C'est aussi parce que c'est si beau les belles histoires de voyage. Quelles belles histoires nous racontes-tu là sur une Afrique que je connais -à mon grand regret- si mal. Tenterais tu de devenir un "conteur blanc"? Aussi je te propose pour ton retour une soirée "conte" où pour une fois, la transmission de la culture sénégalaise, du savoir, du temps, des aventures de toi Toubab, seront déversées directement dans notre tympan avide de couleurs africaines.

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  2. Maintenant c aitana !
    on se regale a te lire... c'est un vrai recit de voyage, tres different du notre, et d'autant plus envoutant..
    on attend la suite avec impatience
    je t'envoie pleins de belles pensees a diffuser sur place :-)
    bisous a toi, camarade nomade

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  3. Merci à vous deux !

    je pense souvent à vous ici, quand je pars marcher en solo surtout.

    je reviens bientôt avec tout plein de belles choses à vous raconter !

    bisous

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  4. WOW, la lecture de vos Blog posts etait comme ci J'ai trouve un journal intime de quelqu'un et que je ne m'arrivais pas d'arreter lire...

    Beaucoup de temps perdu. Mais TRES INTERESSANT :)

    PS: Desolee pour les accents manques.

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