lundi 16 mars 2009

Aïd El Moulid

 

Ce soir, c'est Aïd El Moulid, la fête de la naissance du prophète chez les Musulmans. C'est une fête qui est célébrée par toutes les confréries, autant dire que l'évènement est de taille ici au Sénégal. Même si les plus grosses festivités sont prévues à Thiès, seconde ville du pays, Yoff devrait dispenser son lot de surprises pour le néophyte que je suis.

Dès dix-huit heures, les pèlerins commencent à abonder en direction des mosquées et du saint mausolée à deux pas de chez nous. Tous de blancs vêtus, ils déambulent tels des fantômes perdus dans nos ruelles de western, juste sous nos fenêtres.

C'est vers vingt-trois heures que c'est le plus impressionnant. La fête est supposée débuter à minuit et les Musulmans déferlent de plus en plus nombreux vers le centre de Yoff. Notre rue, d'habitude occupée par de discrètes calèches, est englouties sous le flot continue de N'Diaga N'Diaye, de taxis et de 4x4 remplis à craquer par des fidèles costumés de blanc des pieds jusqu'à la tête. Même les Tata sont de la partie, pour accompagner gratuitement les masses le plus près possible du mausolée.

Bien vite, la petite artère est débordée et les bouchons sont inévitables. Les chauffeurs, portés par les photos de leurs marabouts, croient bon de tenter des demi-tours à ce moment précis mais ils ne créent que complications sur complications. Du haut de mon balcon, je contemple amusé une situation qui n'a rien à envier au grand Paris. Et puis les gens s'énervent, les klaxons retentissent et des jeunes veulent en venir aux mains alors que je bois le troisième thé de Khaba, expert en la matière.


J'entends encore toutes ces réflexions quant à la présumée sagesse africaine. Les Africains prendraient tout avec le recul nécessaire et transmis par les anciennes générations. Autant de stéréotypes qui faisaient d'eux des hommes un peu mystiques pour moi. Hélas, il n'en est rien du tout. Je vois encore quelques Toubabs s'extasier devant la patience de certains Sénégalais en riant de mon côté. Ils ne sont certainement pas plus patients que nous. Au contraire même. Ils ont simplement pris l'habitude de tout voir tourner au ralenti alors ils n'attendent juste pas pour les mêmes choses que nous. En revanche, quand il faut aller quelque part, pas question de marcher ou d'attendre un bus, il faut prendre un taxi en quatrième vitesse sous l'excuse que c'est pas cher. Si le patriarche veut fumer, il criera de toutes ses forces pour appeler un jeune ou une femme de la famille afin qu'il ou elle aille à l'épicerie du coin pour lui acheter ses cigarettes à l'unité.

Depuis plus d'un mois en Afrique à présent, j'analyse autant que possible les hommes et les femmes que je croise et je comprends que nous autres occidentaux prenons des choses pour ce qu'elles ne sont pas en réalité. Un miroir aux alouettes. La lenteur d'un pays devient sagesse africaine. Les convenances deviennent coutumes. Les attitudes réactionnaires à souhait deviennent le lourd poids des traditions ancestrales. J'avais, dans un premier temps, une vision de désordre face à moi. Au fil des semaines, je remarque que c'est tout l'inverse. C'est au contraire une imbrication parfaite. Tout est bancal mais si on ne touche à rien, rien ne s'effondre. Alors chacun jure ses grands dieux et personne ne bouge le petit doigt de peur de perdre cet état osmotique de façade.

Il y a bien quelques personnes qui militent pour changer les choses mais elles s'opposent à un mur d'intolérance qui porte en étendard la menace des traditions. Combien de fois ai-je entendu depuis que je suis là « on a toujours fait comme ça, pourquoi devrais-je changer » ? C'est le paroxysme de l'aveuglement. Après tout, « c'est le Sénégal ! ». Surtout ne pas se remettre en question. Surtout pas.

Alors quand on touche aux sujet des femmes, c'est encore pire. Il semblerait même, d'après mes lectures diverses, qu'on assiste à un durcissement social face aux libertés de celles-ci. La seule façon aujourd'hui envisagée pour l'émancipation des femmes serait de passer par leur implication plus grande dans la religion, lisais-je encore ce matin dans les journaux. Mais que faire alors quand on vit dans une religion écrite par les hommes et pour les hommes. J'avais jusqu'à présent l'image d'un pays où la religion était assez souple mais qu'en sera-t-il si l'on se dirige vers un intégrisme proche-oriental ?

Je suis assez consterné de voir qu'ici, la religion dirige tout. Même les transports en communs sont financés par les marabouts. Ces derniers sont les grands bénéficiaires du système de vie en Afrique de l'ouest. Il ne font rien que parler et promettre à tort et à travers pour qu'on leur offre tout ce qu'ils désirent sur un plateau d'argent. Il suffit en réalité d'être un bon orateur et l'on peut devenir le roi du pétrole ici. Ça ne sert à rien de dire que les politiques sont tous corrompus et que c'est la raison pour laquelle le système africain n'avance pas comme il le devrait. La raison est toute autre. Bien en amont. On se cache derrière les politiques précisément. C'est tout un système de penser qu'il faut remettre en question. Un bon coup de pied à mettre dans la fourmilière. Sinon, ce n'est pas vingt ans de retard que devra rattraper le pays mais plutôt cinquante, et encore.


Pourquoi ce ton si dur de ma part ? Parce que le pays est à l'heure des élections locales. Les premières, depuis la nomination de Wade comme nouveau président il y a deux ans, où l'opposition sera représentée. Or, les jeunes n'ont pas l'intention de se rendre aux urnes. Ils ne se sentent pas impliqués. Pas concernés. Dans le même temps, ils fustigent le gouvernement qui ne fait rien pour eux. Tout cela en attendant les résultats bien sagement, à l'africaine, en préparant du thé à la maison. On attend les scores mais surtout on ne prend pas part au match. On laisse les autres décider pour soi.

Cette façon de penser, je la critique déjà en France, mais ici c'est encore plus frappant. Comment, dans ce pays volé par les dirigeants, les jeunes peuvent-ils oser jouer l'indifférence et renier les principes de leur jeune république ? C'est pour le moins scandaleux et cela frôle l'inconscience. Je suis outré.


Les bruits du Moulid me tirent de mes réflexions politico-sociales. En réalité, je ne parviens pas à penser la politique africaine sans ma vision moralisatrice à la française et je suis sans doute le plus consternant de tous ici. Peu importe.

Minuit passé, nous sortons dans les rues pour la célébration, direction le mausolée et les mosquées. L'Islam présente son plus beau visage. Les gens sont tous unis pour la même cause spirituelle et c'est à en oublier les bousculades et les railleries de certains quant à la présence de quelques blancs ici. Il s'en faudrait de peu pour me faire croire qu'ils sont tous aussi tolérants qu'ils le laissent entendre.

Sous des tonnelles, des femmes exécutent des dansent alors que des hauts parleurs crachent de chants layènes assourdissants et peu mélodiques. Des cris « ya la la » ou « la ya ya » de chèvres qu'on égorge viennent emplir tous les espaces acoustiques disponibles à mon grand dam. Je ne me ferai pas à ces chants, j'en suis persuadé. Et c'est vraiment dommage car l'énergie que dépensent ces femmes dans leurs chorégraphies mériteraient que je m'y attarde plus souvent. Mais les chants layènes sont tellement éloignés de ce que mes oreilles sont prêtes à supporter que je préfère toujours me tenir à distance de ces rassemblements, fréquents dans le quartier.

Dans les ruelles qui bordent une mosquée, des marchandes proposent des fruits, des gâteaux et des petites brochettes fort appétissantes. La soirée ne fait que commencer, elle devra se poursuivre jusqu'au petit matin.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire