Le Sénégal, pays de la Téranga, est aussi le pays de l'incertitude. Pas un programme bien établi ne saura être respecté. Les choses se déroulent plus lentement que lentement. Même en sachant que tout prend plus de temps ici, on a toujours vite fait de prévoir plus de choses à accomplir que ce qu'on pourra réellement réaliser.
C'est aussi le pays de l'incertitude parce qu'un « événement malheureux » vient frapper à la porte plusieurs fois par jour. C'était le cas pour la cérémonie d'ouverture qui ne semblait jamais vouloir se tenir. C'est le cas maintenant pour un concert de Pepe & Cheikh au Petaw à N'Gor. Arrivé à la porte du bar où doit se dérouler la prestation, pas une lumière à l'intérieur. Pas un chat non plus dans le quartier. Un serveur arrive :
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Bonjour ! Entrez !
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Pepe & Cheikh jouent bien ce soir ?
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Hélas non. Un événement malheureux est arrivé, le concert est annulé. Mais on a de la salsa à la place.
L'évènement malheureux n'est pas toujours un décès, fort heureusement. C'est néanmoins parfois le cas. Il me semble que les gens tombent très fréquemment autour de nous en ce moment, sensation que je n'ai jamais connu ailleurs. Tel jour, un membre de la confrérie est mort. Tel autre, c'est une femme morte en couche avec son enfant et ainsi de suite.
D'autres évènements attirent mon attention au plus haut point. Deux étudiantes de notre formation se sont mariées. Jusque là, rien d'anormal. Mais voilà, la première nous appelle :
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Excusez-moi, je ne pourrai pas être là jeudi, commence-t-elle, mon père organise mon mariage et je crois que ce serait bien que je m'y rende.
Sic ! On hésite entre se tordre de rire ou être parfaitement choqués par la situation et, plus encore, par le ton naturel qu'elle a pris pour nous annoncer la nouvelle.
Aujourd'hui, c'est une autre étudiante qui nous appelle à l'appartement :
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Bonjour, je vous appelle pour vous dire que demain, je me marie.
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D'accord. Tu aurais pu nous prévenir un peu avant non ?
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Je vous avoue que je suis un peu surprise moi-même...
Des conversations comme ça, j'en entends plusieurs par jour. Le poids de la tradition, les us et coutumes, les rituels différents pour chaque confrérie nous font vivre au rythme des surprises quotidiennes. Qu'on ne s'y trompe pas, le Sénégal est un pays extrêmement moderne pour le continent africain, mais on ne transige pas avec certaines règles, surtout ici, en terres lébous.
Une autre grande tradition ici, c'est le sport. Tout le monde court sur la plage, fait des étirements, de la culture physique. Tous les garçons, et parfois les filles, portent des maillots de football. C'est une seconde religion au Sénégal. Pourtant, devant les succès variés de l'équipe nationale ces derniers temps, les Sénégalais affichent plutôt des couleurs européennes. Championnats italiens, anglais, espagnol, français, ils connaissent tout et suivent tous les matchs.
Cette semaine, j'ai assisté aux matchs de coupe d'Europe chez plusieurs personnes de Yoff. Les familles se rassemblent autour de l'écran. On fait le thé mais on parle peu. Tout le monde est rivé sur l'écran qui rassemble et sépare à la fois. Les Sénégalais ne s'emballent pas beaucoup devant les matchs, sans doute parce qu'ils ne sont pas vraiment concernés par ces rencontres, j'imagine que l'ambiance doit être toute autre pour un match local.
Ce qui déchaîne vraiment les passions ici, ce sont plutôt les combats de lutte. L'autre sport du Sénégal. Le sport national et internationalement méconnu. Pas une boutique qui ne retransmette les combats durant le week-end. Les gens se massent jusque dans la rue pour apercevoir des fragments d'images au loin sur une télévision qui grésille.
Les lutteurs sénégalais sont impressionnants. À deux pas du sumotori en nettement moins gras, ils font état de leur agilité, leur force et aussi de ruse. Ils peuvent passer cinq minutes à se regarder avant de se jeter l'un sur l'autre, achevant le combat en une seconde. Le premier qui tombe a perdu, pas d'autre règle pour ce sport. Il existe bien une variante où les frappes peuvent accompagner les prises mais je n'y ai pas encore assisté. Il n'empêche que les lutteurs sont de véritables stars au Sénégal. Les chauffeurs de bus et de taxis n'hésitent d'ailleurs pas à afficher leurs photos dans les véhicules, au même titre que leurs guides spirituels.
Avec Bou, je décide alors de m'initier à ce sport traditionnel. Direction la plage, où tout le monde s'entraîne. Force est de constater que c'est très physique. On a l'impression de ne pas bouger, mais c'est absolument épuisant. Chaque prise exerce une pression qui se répercute sur tous les muscles du corps. Nous avons presque la même force avec Bou, plus petit que moi mais bien plus technique également, aussi faisons-nous un score de parité à la fin de l'entraînement.
Pendant ces quelques brèves joutes, des étudiants de la formation, eux aussi sportifs, nous ont surpris luttant ainsi aux yeux de tous. Mort de rire, Mame me décolle du sol par les pieds alors que j'étais en prise avec Bou. Si ces petits détails ont tendance à casser le rapport professeur-élèves, il établit des liens d'autant plus forts, bien plus intéressants pour notre formation et l'esprit de partage qu'on souhaite insuffler. Je suis bien ici pour vivre mon expérience à fond. À le sénégalaise. Les étudiants s'en rendent compte ou le feront au fur et à mesure.
Pour me remettre d'aplomb, rien de tel qu'un nouveau concert. Cette fois, il ne sera pas annulé. C'est d'autant plus appréciable que c'est un artiste que j'adore et que j'ai découvert en France voici quelques années avec son dernier album « Lamp Fall ». Cheikh Lô est un musicien sénégalais aux longues dreadlocks de Bai Fall, une religion ici.
Comme tous les concerts de Dakar, celui-ci commence avec trois bonnes heures de retard. Notre grande tablée mêlée de Toubabs – nous sommes rejoints par des anciens de l'association et le frère de Roxane – et de Sénégalais ne passe pas inaperçu. L'attente est toutefois bien récompensée puisque l'artiste enchaîne deux heures de live, sans interruption, à passer entre les tables ou danser au milieu de ses fans qui le rejoignent sur scène pour reprendre en cœur ses plus grands succès. Les chansons sont en wolof et la musique très percutante oblige le corps à se trémousser malgré la fatigue accumulée tout au long de la journée. C'est aussi ça la vie au rythme du Sénégal.
Oh la la, un concert de Cheick Lô, le rêve !!!
RépondreSupprimerEn revanche, le coup des mariages arrangés où on prévient la fille la veille, c'est un peu dur...